Ce n'est pas forcément une histoire heureuse quand l'ignorance fait croire à la femme noire. Avec Le Silence des murs (*), Mohammed Attaf nous ramène à une sorte de vie antérieure - j'allais dire intérieure - où l'imaginaire est souvent à son comble. En vérité, les vingt nouvelles (j'ai déjà rappelé ici les critères et les techniques de ce genre littéraire) qu'il nous propose sont intéressantes à bien des égards. Et qu'est-ce qui serait autant captivant que les souvenirs d'enfance? J'entends les souvenirs qui nous élèvent au niveau du degré d'amour dont nous construisons notre présent, tous les souvenirs qui nous disent ce que nous sommes, pour qu'enfin, et une fois pour toutes, nous prenions conscience de notre identité. Eh oui, les Algériens doivent se raconter, décrire leurs attaches, remonter aux racines. Quoi! serions-nous, sans Histoire? Il en est - pourtant des têtes bien pensantes, voyez-vous ça! - qui se demandent encore en 2008 «Qui sommes-nous? D'où venons-nous?» Cela frise l'ignorance et fixe le ridicule lorsque pour étayer nos principes, on fait appel à l'étranger. Tout ce qui est étranger, chez nous, est «une drôle de merveille»; on ne se connaît pas de repères, on consomme et pour paraître créateurs - en tout cas pour glaner quelque considération - certains n'ont aucune honte à verser aveuglément dans l'imitation, et plus grave à sombrer dans la contrefaçon! L'ouverture est un besoin essentiel pour l'évolution et le développement de toute culture nationale. S'il faut donner des références, on doit les examiner et les prendre chez nous. Voilà mon irritation passée sur une comparaison absurde, incongrue, improductive que je lis dans la page 4 de la couverture du présent recueil de nouvelles de Mohammed Attaf. Bon sang ne ment pas! Il suffit de lire une seule nouvelle de Attaf pour se rendre compte que lui n'a pas besoin d'être comparé à Lamartine dont au reste j'admire, évidemment, le souffle de sa poésie, la force d'âme religieuse qui irrigue ses vers et ses images, en particulier, dans ses Méditations, poèmes d'amour et de douleur - il chante ses souvenirs et sa souffrance - ou dans ce vallon de l'enfance où est nichée Milly, sa terre natale, la montagne du Craz et les paysages d'Aix-les-Bains. Il serait vain pour moi de vouloir en préciser l'intention. La poésie est création, Lamartine émeut, car il parle de ce qu'il vit. Tout autant, par le travail, par la vie de famille unie dans l'amour et dans l'effort, l'homme, chez nous, construit aussi son bonheur, un élan qui se retrouve parfaitement dans la nouvelle La Maison des invités que nous présente magnifiquement Mohammed Attaf, évoquant ses souvenirs d'enfance à Tizi Ouzou. De plus, notre auteur va au fond des êtres animés ou inanimés: «L'art du travail fini accroît l'amour du style et de la présence infinie. [...] Chabha, tenant encore aux traditions d'honneur, ne pouvait admettre une table d'invités sans viande ni dessert» - dâr ed-diâf est, plus que la vitrine, le miroir de toute la maison, à ce point que l'on aime cette scène qui nous rappelle beaucoup de souvenirs: Chabha, assise auprès de ses enfants, leur confia entre deux gorgées de café: «Vous savez, mes enfants, on dirait qu'on a trouvé du miel dans cette maison.» Les autres nouvelles sont du même terroir avec de belles envolées lyriques. En effet, on s'imagine les justes paysages de notre région (ici la Kabylie), les personnages simples et véridiques, et tout pleins d'une ambition saine - on en trouve un exemple avec le chômeur qui, «licence en poche, passe la nuit à écrire (ou plutôt à décrire) sa vie monotone et ses espérances qui ressent dans ses viscères une multitude d'obsessions et d'angoisses qui le martyrisent.» Un message est envoyé là aux jeunes auteurs. Dans La Femme noire, on pourrait préférer que Attaf entre au coeur du problème posé par l'ignorance et l'inculture. Pourquoi, l'écrivain, n'aurait-il pas, le vrai, le grand devoir d'éclairer, voire d'éduquer son lecteur? Et spécialement lorsqu'il s'agit d'un phénomène aussi rétrograde que celui qui dénigre «la science médicale»?...La dernière nouvelle, qui est la locomotive, disent certains, de toutes les nouvelles, a pour titre Le Silence des murs. Très beau titre, sans aucun doute. Mais, à mon sens, il ne reflète pas le fond fin et solennel que Attaf évoque de son enfance. En fait, les descriptions sont souvent superficielles, parfois d'une prolixité un peu molle. L'émotion vient du souvenir, non pas - dirais-je - de l'auteur, mais de ce qu'il nous donne à voir, et pour moi, à revoir, des temps anciens de la vie de nos parents et de nos grands-parents. Car en écrivant, il y a quelque chose à laisser derrière soi aux générations prochaines: les passions populaires les plus fortes qui font la société. Bien sûr, il y a beaucoup à comprendre du Silence des murs, mais beaucoup plus encore si Les murs parlent à la place de l'auteur. Mohammed Attaf, qui progresse nous faisant gagner par le Silence (quand même!), ce lien intime qui est primordial entre le lecteur, l'Algérien et le littérateur. Ouvrage à lire, auteur à encourager. P. S.: J'apprends à l'instant, en réalité deux jours avant la parution de cette chronique, la bonne nouvelle: Mohammed Attaf a reçu pour son roman L'Arbre de la chance, qui a été présenté à nos lecteurs ici-même, «Le prix Apulée du premier roman», décerné par la Bibliothèque nationale d'Alger. Félicitations à lui et aux autres lauréats Ahmed Khiat pour Moughâmarât El Mâkir (Les aventures du Malin) de la collection Adab El Foutouwa dans la catégorie langue arabe et Tahar Ould-Amar pour Boûroûroû (Hibou) aux éditions Azur pour la langue amazighe. (*) LE SILENCE DES MURS de Mohammed Attaf Editions Alpha, Alger, 2007, 167 pages.