La constitution du nouveau gouvernement de Côte d'Ivoire, qui devait être présenté hier par le Premier ministre, est différée une fois de plus, l'opposition refusant toujours de l'intégrer tant que la Commission électorale indépendante (CEI) et son président ne sont pas rétablis dans leurs droits. Laurent Gbagbo a annoncé qu'en attendant, il rétablissait temporairement dans leurs fonctions les ministres de la Défense, de l'Intérieur et des Finances, pour assurer la gestion des affaires courantes. Le président burkinabé Blaise Compaoré, médiateur dans la crise, devait se rendre, hier, à Abidjan pour tenter de débloquer la situation et sortir le pays de l'impasse. Il devait rencontrer l'exécutif et l'opposition pour réunir les conditions de relancer le processus électoral dont les reports successifs depuis 2005 ont plongé le pays dans une crise sans précédent avec une guerre civile comme conséquence. Une réunion d'urgence a été annoncée dans ce sens. Il s'agirait d'une réunion du Cadre permanent de concertation (CPC), qui rassemble les présidents Compaoré et Gbagbo, le Premier ministre Guillaume Soro, l'ancien président Bédié et l'ancien Premier ministre Ouattara, ces deux derniers représentant l'opposition. Le chef de l'Etat burkinabé a d'ailleurs reçu les deux chefs de l'opposition dimanche à Ouagadougou, mais leurs discussions n'ont pas permis de sortir de l'impasse. Ce même dimanche, on insistait dans l'entourage du pouvoir pour dire que la composition du gouvernement n'est pas liée à la réunion du CPC, ce qui pourrait signifier que le président Gbagbo et son Premier ministre seraient prêts à écarter l'opposition. Des rumeurs persistantes selon lesquelles l'opposition serait privée de portefeuilles ministériels dans le nouveau gouvernement ont circulé à Abidjan. Si les rumeurs venaient à se confirmer, le pays pourrait replonger dans le chaos, d'autant plus que l'opposition maintient son appel à ses partisans à “contrer par tous les moyens la dictature de M. Gbagbo”. Déjà très remontés contre le pouvoir, les partisans de l'opposition pourraient investir de nouveau la rue, plus durablement et avec plus de violence. Dès le 13 février, c'est-à-dire le lendemain de la dissolution surprise du gouvernement et de la CEI par le président, de timides manifestations ont été signalées à travers tout le pays pour gagner en ampleur et en violence au fur des jours. Vendredi, cinq personnes sont mortes à Gagnoa au cours de manifestations dispersées dans le sang par les forces de l'ordre. Loin de décourager les protestataires, la répression n'a fait qu'attiser leur haine du pouvoir, puisque la journée du samedi a été marquée par de violentes émeutes un peu partout dans le pays. À Bouaké, dans le centre du pays, des milliers de personnes ont manifesté, dont certaines ont mis le feu à des voitures, saccagé des magasins, pillé la mairie et brûlé la préfecture. Des slogans hostiles à Laurent Gbagbo ont été scandés sans discontinuer. À Gagnoa, qui a connu une tragédie la veille, une nouvelle manifestation a été dispersée à coups de bombes lacrymogènes. Dans plusieurs régions de la Côte d'Ivoire, des évènements similaires ont été signalés. Partout on s'est attaqué aux symboles du pouvoir et de l'Etat, notamment dans le nord du pays où les locaux du parti du Président ont été systématiquement détruits et incendiés. D'un côté, la mobilisation se raffermit et gagne en violence, de l'autre, on semble déterminé à réprimer sans discernement, comme le font entendre les propos du chef d'état-major de l'armée ivoirienne, qui rejette l'entière responsabilité des évènements sur l'opposition. En effet, le général Mangou, tout comme le chef du parti présidentiel d'ailleurs, a parlé d'“insurrection déclenchée par l'opposition”. En somme, à moins d'un miracle, tous les ingrédients sont malheureusement réunis pour replonger le pays dans le chaos.