Après la dissolution, le 12 février dernier, du gouvernement et de la Commission électorale indépendante par le président Laurent Gbagbo, alors que le nouveau gouvernement était annoncé pour lundi dernier puis pour hier, la Côte d'Ivoire a renoué vendredi avec le cycle meurtrier manifestations-répression. L'initiative présidentielle a provoqué des manifestations de protestation violentes depuis le début de la semaine. Elles n'ont cessé de gagner en ampleur, mais c'est la première fois que des morts sont à déplorer. Cinq personnes ont en effet trouvé la mort à Gagnoa, dans le centre-ouest du pays, une région favorable au président Gbagbo. Le coordinateur local du Parti démocratique de Côte d'Ivoire, Gildas Konan, a indiqué que la marche avait démarré tôt pour exiger le rétablissement de la CEI et une date pour le scrutin présidentiel, puis “la police et la gendarmerie ont chargé les manifestants en tirant à balles réelles”. Plus tard dans la journée, après les affrontements, les rues de la ville se sont vidées et les forces de l'ordre s'y sont déployées, selon la presse locale. Des sources hospitalières locales ont confirmé la mort par balle de manifestants. Le général Philippe Mangou, chef d'état-major de l'armée régulière, a confirmé la mort de cinq manifestants et a fait état de neuf blessés lors des affrontements. Il a condamné les manifestations de protestation de ces derniers jours et rend l'opposition responsable de ce qu'il a qualifié d'“actes odieux”. Un peu partout dans le pays, comme à Bingerville, près d'Abidjan et à Trebissou, dans le centre, des échauffourées ont eu lieu vendredi, mais sans gravité. Le chef de l'Etat, le Premier ministre et le chef d'état-major ont tous appelé au calme mais sans effet sur l'opposition, qui a de nouveau appelé à contrer “par tous les moyens la dictature de M. Gbagbo”. Le Premier ministre, l'ancien chef rebelle Soro, qui a obtenu la Primature en 2007 à la suite d'un accord de paix, ayant échoué à composer un nouveau gouvernement lundi, a bénéficié d'un délai de 48 heures, jusqu'à hier, sans succès semble-t-il. Depuis une semaine, il tente de faire rentrer au nouveau gouvernement l'opposition réunie au sein du Rassemblement des Houphouistes pour la démocratie et la paix, mais les leaders des partis composant le RHDP, notamment l'ancien président Henri Konan Bédié et l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara exigent, pour ce faire, “le rétablissement immédiat de la CEI dans tous ses droits”. Le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, a exprimé dans un communiqué, “sa vive préoccupation face à la situation politique en Côte d'Ivoire” et a lancé un appel “aux parties prenantes de l'Accord politique de Ouagadougou afin qu'elles trouvent sans tarder une solution”. De sources partisanes, le médiateur Blaise Compaoré, le monsieur Bons offices africain, devrait recevoir aujourd'hui Bédié et Ouattara pour tenter de désamorcer la crise née de l'initiative présidentielle impliquant un nouveau report de l'élection présidentielle. Le scrutin a été plusieurs fois reporté depuis 2005, année où expirait le mandat du président Gbagbo. Ce rendez-vous électoral était censé mettre fin à la crise issue de la tentative de coup d'Etat de 2002, qui a divisé le pays en deux avec un Sud loyaliste et un Nord contrôlé par la rébellion. Cette énième crise qui implique un énième report de l'élection présidentiel est le résultat de la volonté des deux parties, pouvoir et opposition, de contrôler la CEI et de maîtriser le scrutin. L'opposition soupçonne le président de gagner du temps pour organiser les moyens de sa victoire et le président accuse la CEI de rouler pour l'opposition et d'avoir inscrit frauduleusement des centaines de milliers d'électeurs sur les listes électorales. La situation est donc si complexe et les enjeux politiques si importants que l'avenir immédiat du pays n'invite pas à l'optimisme.