Alger rappelle son ambassadeur à Bamako pour consultation et convoque l'ambassadeur du Mali à Alger pour explication. La décision malienne de relâcher les terroristes, revendiqués par Al-Qaïda en échange de la libération des otages occidentaux, est un précédent d'une extrême gravité. Il fallait s'y attendre. Alger vient de rappeler son ambassadeur à Bamako pour consultation après la volte-face du gouvernement malien qui, sous la pression de Paris, a décidé de libérer les terroristes (deux Algériens, un Burkinabè et un Mauritanien) en échange de la libération de six otages européens dont un Français détenu par Al-Qaïda Maghreb dans le nord du Mali. Ainsi, malgré leurs engagements dans la lutte contre le terrorisme d'autant que leur pays est devenu ces dernières années une véritable base arrière de l'organisation de Ben Laden, les Maliens ont pris le risque de relâcher des prisonniers islamistes. Au-delà de ces incidences diplomatiques avec les pays voisins, la Mauritanie ayant déjà lundi soir réagi à cette libération en qualifiant de “surprenante” la décision malienne de “remettre à une partie terroriste un Mauritanien réclamé par la justice mauritanienne”, cette décision ne fera que conforter les organisations terroristes dans leur chantage contre les Etats. Finalement, Bamako vient de donner au représentant d'Al-Qaïda au Mali “une belle promotion” en réussissant à faire d'un otage un véritable atout de négociation. Que restera-t-il donc des principes de bon voisinage, d'entente mutuelle et de coordination pour la sécurité des frontières quand l'une des parties censée respecter scrupuleusement cet engagement trahit tous les accords conclus jusque-là ? Le communiqué du ministère des Affaires étrangères rendu public hier en début d'après-midi répond d'ailleurs clairement à cette interrogation. “Le gouvernement algérien condamne et dénonce avec force cette attitude inamicale du gouvernement malien qui a fait fi de la Convention bilatérale de coopération judiciaire, signée par les deux pays, et au nom de laquelle la demande d'extradition des deux ressortissants algériens, poursuivis par la justice algérienne pour des actes terroristes, a été formulée en septembre 2009 et réitérée en février 2010”, lit-on dans le communiqué. Et de qualifier le prétexte par lequel les terroristes ont été libérés de “fallacieux”. Le gouvernement algérien souligne par ailleurs que la décision du gouvernement malien viole les résolutions pertinentes et contraignantes du Conseil de sécurité des Nations unies et les engagements bilatéraux, régionaux et internationaux de lutte contre le terrorisme. Tout en rappelant que la décision du gouvernement malien de libérer des terroristes recherchés par des pays voisins est “un développement dangereux pour la sécurité et la stabilité dans la région sahélo-saharienne et sert, objectivement, les intérêts du groupe terroriste activant dans la région sous la bannière d'Al-Qaïda”, le ministère des Affaires étrangères a également décidé de convoquer l'ambassadeur du Mali à Alger pour lui demander des explications sur cette décision du gouvernement malien. En attendant, le forcing français pour la libération des otages commence à donner ses fruits. Après la libération des terroristes, Paris s'attend dans les toutes prochaines heures à la libération de l'otage français Pierre Camatte en captivité depuis novembre 2009. Interrogé à ce sujet, le secrétaire d'Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, a répondu hier dans une interview accordée à la chaîne de télévision LCI : “C'est un premier signe après les demandes que la France a faites, j'espère que tout cela est une question d'heures et de jours.” M. Joyandet a souligné que le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, avaient “fait beaucoup de travail sur ce dossier”, afin d'obtenir la délivrance du Français, Pierre Camatte. Il faut savoir qu'Al-Qaïda Maghreb retient actuellement six Européens dans la zone désertique du nord du Mali : un Français enlevé le 26 novembre dans ce pays. En Mauritanie, trois Espagnols ont été capturés le 29 novembre et un couple d'Italiens le 17 décembre. Il faut aussi rappeler que Madrid négocierait actuellement le paiement d'une rançon de 5 millions de dollars en échange de la libération de ses otages. Ainsi va la diplomatie à l'occidentale. “Faites ce que je vous dis, mais ne faites pas ce que je fais”, ce proverbe d'antan trouve toute sa signification dans ce cas de figure où, paradoxalement, l'Occident confectionne des listes noires de pays “sources de terrorisme” et de pays qui ne le sont pas, alors que c'est bien lui qui finance, et bien plus grave encore, donne de la consistance politique à des organisations purement criminelles.