Est-ce que Ali Tounsi est la première victime de la campagne de lutte contre la corruption ? Au-delà de la manière tragique dont s'est déroulé son assassinat, sa mort pose la question du prix à payer pour mettre fin à ce fléau aussi dangereux que le terrorisme. Ali Tounsi, vieux briscard de la sécurité qui avait érigé la méfiance et la prudence comme fondements de sa protection, a commis une double erreur qu'il a payée de sa vie. D'abord, une erreur technique qui consiste à convoquer son propre assassin, en l'occurrence le colonel à la retraite Choaïb Oultache, pour être entendu dans le cadre d'enquêtes internes quasiment en qualité de “suspect” sans que les mesures techniques d'usage soient prises. C'est-à-dire la plus élémentaire d'entre toutes est celle de désarmer un cadre qui vient dans une posture de “coupable”, et dont l'état psychologique n'est pas forcément reluisant au moment d'être entendu par ses pairs, les cadres de la DGSN. Cette série d'erreurs dans la procédure a coûté la vie à Tounsi qui, probablement, connaissant personnellement le suspect, cité dans une affaire de corruption, n'a pas jugé utile de lui faire subir les contrôles de rigueur. Ensuite, c'est la communication à la presse d'informations sur ce dossier de corruption, 24 heures avant l'audition du suspect-assassin, qui avait certainement précipité la décision du passage à l'acte de la part de cet officier. Ce colonel d'aviation à la retraite de 64 ans, n'étant pas un jeune loup de la police ou un fou de la gâchette, mais a dû lire l'article paru dans le journal Ennahar le jour même de sa convocation avec les dégâts psychologiques qui en découlent. Imaginez un haut cadre, armé, se présentant devant le chef du corps, sachant pertinemment que l'ordre du jour est sa révocation ou son audition sur des méfaits sur lesquels il risque gros. Se sachant “condamné”, subissant une déchéance publique suite à un article de presse qui est catégorique dans sa formulation, la colère ou la folie qui l'animait face à ses accusateurs ont fait le reste. Enfin, sur cet aspect, les observateurs se demandent pourquoi avoir tuyauté le journal sur une histoire interne à la DGSN qui n'est même pas jugée. Et quelles ont été les sources de ce quotidien qui s'est fait la scabreuse réputation de publier des affaires internes à la Police nationale depuis des mois, notamment les conflits supposés entre Ali Tounsi et le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, ou encore les nominations et limogeages successifs au sein de ce corps agité par des luttes intestines connues de tous ? Mais, le plus important est de savoir pourquoi Ali Tounsi est mort. La réponse nous plonge inévitablement dans la lutte anticorruption qui s'est déclenchée ces derniers mois avec une certitude qui va enfler les prochaines semaines : tous ceux qui sont engagés dans cette lutte, enquêteurs, magistrats, cadres d'institutions de contrôle, de finances, des comptes, inspecteurs, fiscalistes, juristes et autres journalistes ne seront pas à l'abri d'actes de représailles individuel ou organisé. Car l'Etat a, dorénavant, la responsabilité de les protéger dans leur action, loin des assassinats, des chantages, des intimidations, des menaces ou des pressions de toutes sortes. Comme il faut s'attendre de personnes incriminées qu'elles réagissent de manière désespérée entre suicide, fuite à l'étranger ou acte de vengeance.