Consternation générale, incompréhension, incertitude quant à l'avenir. La liquidation physique de Ali Tounsi sonne indubitablement le réveil des vieux démons de l'instabilité politique. Un retour expéditif aux années de troubles, d'exécutions commanditées, d'assassinats politiques. La version officielle a beau privilégier « la crise de démence » pour justifier un crime d'Etat, l'opinion publique ne semble pas se satisfaire d'un tel scénario. « Une thèse simple, sans énigme en toile de fond et évidemment sans connotation politique. Un fait divers comme il s'en trame quotidiennement mais qui, exceptionnellement, a pour victime une personnalité importante du régime », écrit Boubakeur Hamidechi, chroniqueur du Soir d'Algérie. Le contexte dans lequel a eu lieu l'assassinat, l'envergure du personnage de Ali Tounsi, indéboulonnable patron de la police – à la tête d'une armée de 170 000 hommes – prêtent inévitablement à de folles supputations. Meurtre fortuit ou assassinat commandité ? La question est posée, grave, à la hauteur du violent séisme qui secoue les institutions de l'Etat, de l'opprobre jeté sur le pays, sous le regard interloqué de la communauté internationale. La nouvelle a, dès la matinée de jeudi, fait le tour du monde avant d'atterrir sur les téléscripteurs de l'agence officielle Algérie presse service (APS). Les médias étrangers, du Wall Street Journal à la Gazette du Brunei, en ont fait leurs choux gras. La blogosphère s'est emparée très tôt de ce qui n'était au départ qu'une rumeur. L'APS n'a réagi, quant à elle, que plus deux heures après l'assassinat. La communication officielle autour de la surprenante exécution du DGSN par un de ses proches collaborateurs, le colonel Oultache, s'est contentée de distiller le minimum vital. Sans doute instruits, les médias publics opposent le black-out. L'Entv, la télévision publique, ne consacrera que deux furtives minutes à ce sujet. Tous les autres médias gouvernementaux, radios et presse écrite, suivent le même exemple : le communiqué laconique du ministère de l'Intérieur confirmant l'assassinat de Ali Tounsi est récité tel un psaume, sans commentaire ni digression. Avant même que l'enquête judiciaire ait rendu ses conclusions, le département de Noureddine Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur, s'empresse de plaider « le crime démentiel ». Côté officiel, on feint de ne pas céder à la panique, à la peur des attentats ciblés. On arbore des traits sereins, on relativise l'onde de choc. On banalise un crime dont la scène était considérée jusque-là comme l'antre de la Sûreté nationale, le bureau hypersécurisé du DGSN. « L'ambiance est presque mondaine, à El Alia », rapporte le reporter Mustapha Benfodil. Vendredi, à l'heure de la cérémonie d'enterrement au cimetière El Alia, la grande famille, la famille recomposée du pouvoir, à l'exception du président Bouteflika et du général-major Mohamed Médiène (patron du DRS), absents, est venue rendre un ultime hommage au grand serviteur de l'Etat. « Un parfum de mondanités côtoie indécemment la dignité qu'exigent de telles circonstances », écrit, dans son compte rendu, le journaliste d'El Watan. La vraie-fausse sérénité qu'affichent ostensiblement les hauts dignitaires du régime présents à la cérémonie n'a d'égale que le climat d'incertitude dans lequel est plongé le pays et les persistantes rumeurs faisant l'écho de luttes de clans au sommet de l'Etat. « Ali Tounsi est-il la première victime de la campagne de lutte contre la corruption ? », s'interroge Mounir Boudjemaâ dans Liberté. Le journaliste y voit un mauvais présage : « Le plus important est de savoir pourquoi Ali Tounsi est mort. La réponse nous plonge inévitablement dans la lutte anticorruption déclenchée ces derniers mois avec une certitude qui va enfler les prochaines semaines : tous ceux qui sont engagés dans cette lutte, enquêteurs, magistrats, cadres d'institutions de contrôle, des finances, des comptes, inspecteurs, fiscalistes, juristes et autres journalistes ne seront pas à l'abri d'actes de représailles individuels ou organisés. »