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Les transferts de bénéfices en question
INVESTISSEMENT ETRANGER
Publié dans Liberté le 15 - 03 - 2010

Il semble que personne n'ait fait le rapprochement entre le rapport sur les transferts de bénéfices, réalisés par les entreprises étrangères installées en Algérie, publié par la Banque d'Algérie au milieu du mois de juillet 2008 et le recadrage de l'investissement étranger annoncé par un discours du chef de l'Etat quelques semaines plus tard. Un processus de recadrage qui se poursuit aujourd'hui cahin-caha. Les autorités algériennes s'efforcent de résoudre ce qui s'apparente pour l'instant à la quadrature du cercle : comment attirer les investisseurs étrangers et faire en sorte que les bénéfices qu'ils réalisent restent dans le pays ?
En publiant, pour la première fois, des chiffres sur les transferts de dividendes des sociétés étrangères dans un rapport qui a circulé dans les milieux professionnels sans être accessible au grand public, la Banque d'Algérie permettait de confirmer ce qui devrait être une évidence pour tout le monde : les investisseurs étrangers ne se contentent pas d'apporter du capital et du savoir-faire.
Ils transfèrent aussi, pour beaucoup d'entre eux, une grande partie des bénéfices réalisés en Algérie. C'est l'importance des montants transférés et leur rythme de croissance élevé qui semblent avoir frappé de stupeur les responsables algériens et provoqué le choc qui est à l'origine des mesures de contrôle et d'encadrement qui se succèdent sans interruption depuis plus d'un an.
Selon le rapport de la Banque centrale, entre 2005 et 2007, les transferts se sont élevés à 15,7 milliards de dollars, soit plus de 5 milliards de dollars par an. Ces transferts n'étaient que de 1,5 milliard de dollars en moyenne annuelle entre 2001 et 2004. La majeure partie des transferts de bénéfices a été réalisée par les compagnies pétrolières associées à Sonatrach. Plus de 80% des profits rapatriés l'ont été dans le cadre des contrats de partage de production conclus depuis le début des années 90 entre Sonatrach et ses nombreux partenaires. Le reste, plus de 1 milliard de dollars par an, est réalisé en dehors du secteur des hydrocarbures, principalement par les opérateurs de téléphonie mobile, OTA en tête, suivis par les transferts des banques et établissements financiers.
Une taxe exceptionnelle
sur les superprofits
Dans une période récente, la question des bénéfices et des transferts réalisés par les sociétés pétrolières activant en Algérie était une première fois venue sur le devant de la scène. En 2006, les autorités algériennes avaient décidé, dans un contexte de forte hausse des prix du baril, d'instaurer une taxe exceptionnelle sur les profits réalisés par les compagnies pétrolières étrangères. Le ministre de l'Energie, M. Chakib Khelil, avait relevé à cette occasion que “plus de 50% de la production pétrolière algérienne viennent de contrats de partage de production signés dans les années 90”. Appliquée à partir de janvier 2007, la nouvelle taxe frappe les superprofits des compagnies à des taux variant suivant la nature des contrats, entre 5 et 50%, lorsque le prix du baril dépasse 30 dollars. Bien que cette taxe rapporte d'importants revenus supplémentaires à l'Etat, elle n'a pas empêché les compagnies pétrolières de transférer plus de 5 milliards de dollars chaque année depuis sa création.
Changement de cap
À partir de l'été 2008, le climat qui entoure l'investissement étranger va évoluer considérablement. Une série de mesures et de décisions des autorités algériennes vont consacrer ce changement de perception.
Il s'agit d'un mouvement qui va se développer crescendo. Les premières mesures sont d'une portée relativement réduite. La loi de finances 2009 crée un service de recherche et de vérification fiscales dans le but explicite de “contrecarrer les conséquences de la mondialisation de l'économie qui s'opèrent au détriment des intérêts de l'Algérie et du Trésor public algérien”. La loi de finances 2009 étend également l'impôt de 15% sur les versements de dividendes effectués au profit de la société mère par les filiales d'entreprises étrangères aux succursales de ces entreprises qui en étaient jusque-là exemptées.
Le dispositif annoncé en décembre 2008 par les instructions de M. Ahmed Ouyahia, et confirmé en juillet 2009 par la loi de finances complémentaire pour 2009, va considérablement amplifier ce mouvement. Il s'appuie sur quatre mesures principales. La première concerne la détention de la majorité du capital. Tout investissement étranger en Algérie doit désormais “aboutir à une répartition du capital dans laquelle l'actionnariat national est majoritaire”.
La deuxième mesure est relative à la balance en devises des projets d'investissement qui sont tenus de “dégager une balance en devises excédentaire au profit de l'Algérie pendant toute la durée de vie du projet”.
La loi précise en troisième lieu que “tout octroi d'avantages à l'investissement étranger doit spécifier clairement que les montants équivalents à ces avantages fiscaux douaniers et autres seront déduits des bénéfices éligibles à transfert vers l'extérieur”. Une dernière disposition permet enfin à l'Etat d'exercer un droit de préemption en cas de vente par un investisseur étranger de tout ou partie de ses actifs en Algérie.
Ces différentes dispositions destinées essentiellement à freiner les transferts de bénéfices, dont les montants ont alerté les autorités algériennes traduisent un net changement de cap et pour beaucoup de commentateurs un durcissement des conditions d'investissement en Algérie.
Une fois cette nouvelle réglementation mise en place, il restait encore à savoir si elle serait appliquée et de quelle façon elle le serait. Ce sont les démêlés du groupe Orascom avec les autorités algériennes qui livrent sur ce chapitre les premiers enseignements.
Plus de la moitié des transferts réalisés au cours des dernières années en dehors du secteur des hydrocarbures ont été effectués par Orascom Télécom Algérie. Installé depuis 2001 en Algérie, OTA a d'abord réalisé d'importants investissements avant d'entrer au cours des dernières années dans une phase de rapatriement des bénéfices vers sa société mère. Le montant des bénéfices susceptible d'être transféré en 2009 a été rendu public au cours de l'été dernier par l'opérateur de téléphonie mobile lui-même. Il s'élève à 580 millions de dollars. Il s'agit de la part des bénéfices réalisés en 2008 destinée à rémunérer l'actionnaire Orascom Télécom Holding. Ce transfert a été bloqué à la suite d'un avis de redressement fiscal d'un montant de 600 millions de dollars notifié à l'opérateur téléphonique qui a fait appel de cette décision du fisc algérien. Bien que la décision de l'administration fiscale ne résulte pas directement de la mise en œuvre du nouveau dispositif légal, elle s'inscrit clairement dans la nouvelle démarche des autorités algériennes en matière de gestion des transferts de bénéfices. Le redressement fiscal dont OTA a fait l'objet est d'ailleurs lui-même le résultat d'une “enquête approfondie” effectuée par les équipes du service de recherche et de vérification fiscales créé par la loi de finances 2009.
La réaction très vive et très rapide, voici quelques jours, du ministre des Finances, M. Karim Djoudi, aux déclarations des propriétaires d'OTA sur une éventuelle cession d'une partie du capital de l'opérateur téléphonique à un nouvel investisseur renseigne bien, en revanche, sur la détermination des pouvoirs publics algériens à appliquer avec fermeté la nouvelle réglementation. M. Djoudi rappelait à cette occasion l'existence d'un droit de préemption de l'Etat algérien et jugeait “nulle et non avenue” toute transaction réalisée sans l'aval des autorités publiques.
Une réglementation
d'exception
Si la volonté des pouvoirs publics de mieux encadrer les transferts de bénéfices semble donc intacte, elle s'accompagne de la mise en place de ce que beaucoup d'observateurs considèrent comme une réglementation d'exception, dont les résultats en termes d'attraction de l'investissement étranger sont déjà visibles dans les bilans établis par l'Andi pour l'année 2009. Elle laisse donc entier le problème de la création d'une industrie exportatrice, voire même de substitution aux importations capable de préparer la relève des hydrocarbures.


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