La rareté des informations et des analyses disponibles sur l'investissement étranger en Algérie est un phénomène frappant qui n'a pas empêché les pouvoirs publics d'opérer dans la période récente une volte-face complète dans ce domaine. Chaque nouvelle étude permettant d'y voir plus clair est donc accueillie avec beaucoup d'intérêt. Le dernier rapport du réseau méditerranéen Anima Investment Network publié voici quelques semaines est pour l'Algérie d'un intérêt tout particulier pour au moins deux raisons. La première est qu'il intervient à la suite de la mise en place dans notre pays d'un nouveau régime juridique pour les investissements étrangers dont il permet donc de mesurer et de confirmer les premiers effets. La seconde est qu'il permet d'effectuer quelques comparaisons intéressantes avec les pays voisins. Une “bonne surprise” pour l'Algérie En apparence, l'image peu attractive de l'Algérie en tant que terre d'accueil des IDE semble ne pas avoir eu de conséquences sur les performances de notre pays. Le réseau Anima évalue en effet les annonces d'investissements étrangers en 2009 à près de 2,5 milliards d'euros contre seulement 1,5 milliard d'euros en 2008. Ces résultats, qualifiés de “bonne surprise” par les rédacteurs du rapport, doivent malheureusement être relativisés du fait que les projets annoncés se concentrent quasi exclusivement dans le secteur des hydrocarbures. Le rapport précise ainsi que 9 sur 10 des plus gros projets annoncés concernent le secteur de l'énergie. On se retrouve alors en pays de connaissance avec des investissements hors hydrocarbures qui s'annoncent à un niveau inférieur à 500 millions de dollars en rythme annuel en diminution sensible par rapport aux résultats obtenus dans ce domaine pendant la période 2000-2008. C'est ce que soulignait déjà le dernier rapport semestriel du Cnes qui pointait des investissements très modestes au 1er semestre 2009 – environ 150 millions de dollars – soulignant l'incapacité persistante de notre pays à constituer “un pôle d'attraction pour l'investissement étranger en dépit des efforts de l'Etat algérien”. C'est ce que montrait aussi le bilan établi par l'Andi qui révélait voici quelques mois devant la presse et par la bouche de son directeur général, M. Abdelkrim Mansouri, que le nombre de projets d'investissements étrangers enregistrés par son agence était tombé au nombre insignifiant de 4 en 2009 contre 102 projets recensés en 2008. Ce dernier attribuait très clairement cette évolution aux “nouvelles mesures prises par l'Algérie en matière d'entrée des capitaux étrangers à la faveur des dispositions de la LFC 2009”. Le panorama de l'investissement étranger qui se dessine à travers ces différentes évaluations est donc celui du renforcement de la spécialisation de notre économie avec un maintien voire une augmentation des flux d'investissements en direction du secteur de l'énergie. Cette évolution s'accompagne d'une régression sensible des projets d'investissement non pétroliers. Les données publiées par le réseau Anima portant, en outre, sur des projets annoncés, ces tendances générales ont donc de fortes chances de camper le décor de l'investissement étranger en Algérie au cours des prochaines années. Autre enseignement des données collectées par Anima, la quasi-totalité des pays voisins font mieux que nous en termes d'attraction de l'investissement étranger. Pour ne citer que l'exemple du Maroc, c'est en 2009 plus de 3,3 milliards d'euros d'investissements qui sont annoncés. Le réseau méditérranéen estime, en outre, que le “volontarisme industriel” dont fait preuve le royaume chérifien donne des résultats convaincants en assurant la diversification de son économie. Le principal acteur de cette diversification est au cours des dernières années la Caisse des dépôts et de gestion (CDG), un organisme public aux attributions comparables à notre Fonds national d'investissement (FNI) de création récente, et qui a joué au Maroc un rôle important dans l'implantation de zones industrielles, de complexes touristiques et de technopoles. Une exception algérienne La médiocrité des performances enregistrées dans la période récente par notre pays en matière d'attraction des investissements étrangers en dehors du secteur des hydrocarbures apparaît non seulement comme la conséquence du nouveau cadre juridique mis en place depuis environ 18 mois, mais également comme le résultat d'une instabilité chronique ainsi que des ambiguïtés de la politique d'ouverture à l'investissement étranger inaugurée au début de la décennie écoulée. C'est cet ensemble de traits qui compose ce qui est de façon croissante perçu comme une exception algérienne dans un contexte régional caractérisé par la standardisation et l'uniformisation des règles du jeu. Le droit de préemption que le gouvernement algérien s'apprête à appliquer pour la première fois fait partie d'un dispositif juridique annoncé par les instructions de M. Ouyahia en décembre 2008 et rendues officielles l'été dernier par la loi de finances complémentaire pour 2009 qui impose, en outre, une répartition du capital dans laquelle l'actionnariat national est majoritaire dans l'industrie et ne doit pas être inférieur à 30% dans les activités commerciales. Ces différentes dispositions instaurent un cadre juridique d'exception qui n'a pas d'équivalent connu au moins à l'échelle régionale où les réglementations nationales rivalisent au contraire de dispositions destinées à capter les flux d'investissements étrangers. En terrain inconnu Ce régime d'exception entraîne un certain nombre de conséquences qui pour certaines d'entre elles projettent l'administration algérienne en territoire inconnu. On peut mentionner notamment les conséquences sur les accords internationaux signés par l'Algérie en rappelant que la plupart des dispositions de la LFC 2009 sur le chapitre de l'investissement étranger ont été dénoncées officiellement dès la fin de l'été dernier par la Commission européenne comme non conformes à l'Accord d'association conclu avec l'Algérie. Les résultats en termes d'image de l'Algérie auprès des opérateurs économiques étrangers font également partie des conséquences qui restent à évaluer. Dans son édition du 10 mai dernier, une publication de référence pour les milieux économiques internationaux comme le Financial Times évoquait l'attitude de “repli sur soi” des autorités algériennes et les risques d'“isolement” qu'elle fait courir à l'avenir à un pays qui a “un besoin dramatique de diversifier son économie, créer des emplois pour répondre à un taux de chômage élevé et qui a opté pour une politique nationaliste croyant que ses réserves de pétrole et de gaz peuvent compenser le manque d'investissement”. Le journal de la city londonienne ajoutait : “En dehors du secteur pétrolier, le message de l'Algérie aux investisseurs étrangers n'a jamais été particulièrement chaleureux. Alger vient de le durcir en disant aux étrangers : vous n'êtes pas les bienvenus ici”. Même en relevant que l'article en question est signé par le correspondant du journal dans la capitale égyptienne, force est de constater que cette bataille médiatique là est bien mal partie. Une instabilité chronique Les changements de cap fréquents accompagnés de transformations radicales du régime juridique constituent également une spécificité. Contrairement aux autres pays de la région, l'Algérie n'est pas parvenue à stabiliser sa réglementation. Pour ne parler que de la période récente, le début de la décennie écoulée avait été marqué par un large programme de libéralisation et de privatisation accompagné, on s'en souvient, d'une vaste campagne de communication internationale destinée à “promouvoir la destination Algérie”. Les résultats obtenus ont permis d'enregistrer une première vague d'investissements significatifs en dehors du secteur des hydrocarbures. Un chiffrage de l'Andi évalue les investissements étrangers réalisés en dehors du secteur pétrolier entre 2000 et 2008 à près de 8 milliards de dollars. La commission de Bruxelles a enregistré de son côté une multiplication par cinq des investissements européens en Algérie entre 2005 et 2008 année au cours de laquelle ils ont atteint plus de 1,1 milliard d'euros réalisés pour les deux tiers en dehors du secteur des hydrocarbures. C'est cette dynamique qui a été remise en cause brutalement après seulement quelques années d'application et sans qu'aucun bilan approfondi des résultats ait été dressé par aucune institution nationale. Un rapport confidentiel établi voici quelques mois par une mission d'experts européens en déplacement à Alger dans le cadre de l'évaluation de l'Accord d'association avec l'Union européenne s'étonnait : “Malgré un grand nombre de contacts et rencontres avec les entreprises et les institutions concernées, les informations recueillies sur les IDE en général, et les IDE européens en particulier, n'étaient pas complètes. La mission est bien concernée par ce manque d'information. Avec des informations, les stratégies peuvent être revues et ajustées si nécessaire ; les programmes peuvent mieux viser les demandes et traiter les vrais problèmes.” Le même rapport poursuit “le nouveau régime des investissements adopté par les autorités algériennes introduit une incertitude dans les décisions d'investissement des entreprises européennes en Algérie en particulier dans des secteurs-clés pour le rééquilibrage de la balance commerciale, comme les biens d'équipement et les biens de consommation. Toutes les enquêtes auprès des entreprises le montrent, le changement de cadre institutionnel affecte gravement l'image et les décisions des investisseurs et très vite ces mesures risquent de se révéler contre- productives”. Les défaillances de la régulation La faiblesse des performances de notre appareil administratif et du système de régulation économique a également joué un rôle important dans la crise de l'investissement étranger que nous traversons aujourd'hui. Un haut fonctionnaire nous confie : “L'administration algérienne ne joue pas son rôle. Pour la LFC 2009, c'est le MAE et le ministère du Commerce qui auraient dû attirer l'attention sur les contradictions avec l'Accord d'association. À quoi sert une institution comme l'ARPT dans le secteur des télécoms ? Le gouvernement compense un déficit de régulation par un supplément de dirigisme et des mesures à l'emporte-pièce.” Pour beaucoup d'observateurs, la politique de recadrage de l'investissement étranger mise en œuvre depuis l'été 2008 va se révéler de façon croissante comme une impasse. Il faudra tôt ou tard remettre à plat l'ensemble du dispositif. Selon le dirigeant algérien d'une importante banque étrangère installée en Algérie, la solution passe par “l'adoption d'une feuille de route lisible dans le domaine de la libéralisation des échanges et des investissements qui fixe les engagements et les limites dans un cadre évolutif mais stable. Il ne doit pas y avoir de retours en arrière incessants. C'est le seul moyen pour renforcer l'attractivité économique et redonner confiance aux partenaires de l'Algérie”.