Le texte ouvre la voie à toutes les dérives. Le chef de l'Etat vient de signer une nouvelle ordonnance, relative à la monnaie et au crédit, concoctée en catimini par les ministres Benachenhou et Khelil et une poignée de fonctionnaires, confie une source sûre. Le président de la République revient ainsi à une tradition inaugurée au cours de son mandat : légiférer par ordonnance. Mais ce qui est très grave, c'est la disparition, dans le nouveau texte, de l'article 192. Un véritable garde-fou. En effet, dans l'actuelle loi sur la monnaie et le crédit, il est spécifié que tous les transferts de devises ou de recettes vers l'étranger doivent passer par la Banque centrale. De façon plus précise, l'article 192 énonce que “toute société de droit algérien exportatrice, concessionnaire du domaine minier ou énergétique de l'Etat doit obligatoirement avoir et maintenir ses comptes en devises auprès de la Banque centrale et effectuer ses opérations en devises par son entremise”. Allusion aux exportations de Sonatrach. La suppression de cet article ouvre la voie à toutes les dérives. Un responsable syndical ne mâche pas ses mots : “Ce projet d'ordonnance constitue l'instrument d'un véritable hold-up de la richesse nationale. L'objectif recherché est de s'octroyer la liberté totale de disposer de l'argent des hydrocarbures. Cet argent du pétrole pourra être transféré sans aucun contrôle. C'est une tentative de faire passer ce que l'on a pas pu faire à travers la loi sur les hydrocarbures et même plus, puisque l'on passe du système off shore du projet de loi sur les hydrocarbures à un système fonctionnant tout simplement en roues libres”. Les voix spécialisées abondent dans le même sens : “C'est inquiétant. Ça prépare la rachwa. C'est la direction du pays la plus dangereuse. C'est une connerie monumentale ; pourquoi veut-on réduire les prérogatives de la Banque d'Algérie, d'autant que sur les exportations de Sonatrach, elle était très vigilante ? Elle a un service spécialisé uniquement pour le contrôle des ventes de Sonatrach. La Banque d'Algérie surveillait chaque bateau : les quantités d'hydrocarbures, la valeur des cargaisons, au quotidien. Le véritable problème est-il de démolir la Banque centrale ? Après avoir mis au garde-à-vous le gouverneur de la Banque centrale, en permettant sa révocation par le chef de l'Etat, avec la loi monnaie et crédit version Benachenhou, veut-on transformer la Banque centrale en une imprimerie à billets ?” Mais comment fonctionne le mécanisme ? Actuellement, tout transfert de devises vers l'étranger par une entreprise nationale ou étrangère implantée en Algérie passe par une autorisation de la Banque centrale. Pour cela, la Banque d'Algérie a une direction du contrôle des changes. Concernant Sonatrach, ses exportations transitent par la Banque centrale. Les devises tirées de ses exportations se transforment en réserves de change placées à l'extérieur dans des banques internationales sûres, dites AAA, ou en bons du Trésor américain qui rapportent de l'argent au titre du produit des intérêts. La partie dinar est restituée à la Sonatrach, à travers sa banque domiciliatrice, la BEA. La compagnie nationale utilise une partie de cet argent pour ses propres besoins et une partie pour faire face à ses obligations fiscales. Avec la suppression de l'article 192, saute un mécanisme qui a préservé un tant soit peu les intérêts du pays, tout au moins pour la partie devises. Avec le nouveau texte, c'est le saut autorisé vers les détournements et les transferts illicites de capitaux vers les paradis fiscaux que veulent mener Bouteflika et Benachenhou. L'absence de contrôle des flux financiers des compagnies étrangères laisse, du reste, les voies ouvertes aux pots-de-vin et à la dilapidation réglementée des richesses nationales. L'Algérie déroule ainsi le tapis rouge aux parrains de la criminalité financière. Il est temps, aujourd'hui, de couper court à ces projets funestes de rapines et de détournement à grande échelle des ressources en hydrocarbures, patrimoine de tout le peuple algérien. N. R. LA LOI SUR LA MONNAIE ET LE CREDIT DE 1990 Journal officiel de la République algérienne n°16 (18 avril 1990) - Art. 192 : Toute société de droit algérien exportatrice, concessionnaire du domaine minier ou énergétique de l'Etat doit obligatoirement avoir et maintenir ses comptes en devises auprès de la Banque centrale et effectuer ses opérations en devises par son entremise.