Tous ceux qui attendent d'être recasés disent la même chose : “On a commencé par reloger les habitants de Diar Echems, parce que les habitants de ce quartier ont fait des émeutes, barré la route et brûlé des pneus.” Le lancement, dimanche dernier, de l'opération de relogement de 10 000 familles algéroises ne s'est pas fait dans le calme. Dans les bidonvilles, chalets et autres quartiers vulnérables, la tension est toujours vive et des émeutes vite étouffées ont éclaté dans quelques quartiers comme Djenane Sfari à Birkhadem ou à la ferme Gregory, près de Kouba. Une semaine avant le lancement de cette opération, qui devrait s'étaler jusqu'au mois d'octobre prochain, les habitants du quartier Zaâtcha avaient manifesté leur colère. Point commun de toutes ces manifestations de mécontentement qui font tache d'huile : tous ceux qui attendent d'être recasés disent la même chose : “On a commencé par reloger les habitants de Diar Echems, parce que les habitants de ce quartier ont fait des émeutes, barré la route et brûlé des pneus.” D'ailleurs, les habitants de Djenane Sfari sont sortis protester contre le relogement des habitants de Diar Echems dans leur commune, alors qu'eux attendent toujours. Ailleurs, dans la wilaya d'Oran, la force publique a été réquisitionnée pour démolir un bidonville, provoquant une émeute des occupants et rappelant de vieux souvenirs du quartier des Planteurs avec son lot d'émeutes qui ont fini par un relogement des habitants. Faut-il recourir systématiquement à l'émeute pour prétendre à un logement social ? La question n'a plus besoin d'être posée chez ceux qui habitent les bidonvilles, les chalets et les vieilles bâtisses. Mais est-ce la solution ? Assurément pas, d'autant plus que ce genre de situations profitent généralement à la maffia des bidonvilles, ces spécialistes des opérations de recasement qui arrivent toujours à faire des affaires sur le dos des nécessiteux. La wilaya d'Alger a réalisé 10 000 logements pour cette opération. Un lot faisant partie du programme présidentiel estimé à 50 000 unités pour la résorption de l'habitat précaire. À première vue, c'est énorme comme programme. Beaucoup de pays, plus aisés que le nôtre, ne font pas pareilles opérations. Mais parce que le logement est sujet de toutes les tensions en Algérie et parce que le pays a accusé un retard terrible en la matière, et parce que le terrorisme est venu accentuer l'exode rural, la construction de 10 000 ou de 100 000 logements ne résoudra pas le problème, tout comme le programme du million de logements paraît comme une goutte dans l'océan des demandes en attente. C'est que la donne en Algérie est complètement faussée et les responsables du secteur ont l'impression d'irriguer une dune de sable ! Lorsqu'on a plus de 80% de la population qui habite dans 10% de la superficie totale du territoire national, on mesure les énormes défis auxquels sont confrontés les responsables chargés de planifier les programmes de logements. Mais au-delà de ces difficultés pratiques, le plus inquiétant reste le rôle des élus locaux dans la gestion de cet épineux problème. Les APC ne délivrent, certes, plus de logements. Mais ce sont elles qui se chargent de l'établissement des listes de bénéficiaires, avec tous les avantages et les trafics que cela suppose. Ce sont les APC qui ferment généralement l'œil sur l'édification de nouveaux bidonvilles, et ce sont des APC qui encouragent, parfois ouvertement, leurs citoyens à recourir aux émeutes pour se faire entendre. Les élus adoptent le même langage : “Ce n'est pas nous qui délivrons les logements, nous avons établi des listes, nous les avons transmises à la wilaya, il faut aller voir avec elle.” Cette façon de s'en laver les mains n'absout aucunement les élus locaux de leurs responsabilités. On aurait pu éviter ces situations et ces tensions si, d'abord, au niveau local, la transparence était de mise. Si les élus locaux communiquaient avec leurs citoyens, s'ils les informaient des programmes de recasement, ils auraient pu éviter toutes les mauvaises interprétations et auraient pu gagner en crédibilité. Lors de l'éclatement des émeutes de Diar Echems, le ministre de l'Intérieur, qui s'est déplacé sur les lieux, avait déclaré que l'Etat allait résoudre le problème des habitants dans le calme, et avait averti que ce n'est pas à travers les émeutes qu'on fera pression sur le gouvernement. Le wali d'Alger l'a relayé, la semaine dernière, pour affirmer que les émeutes ne sont pas un critère pour recaser les gens. Mais, sur le terrain, ceux qui attendent leur logement depuis des lustres, comme ceux qui se sont spécialisés dans le business des bidonvilles, sont persuadés, jusqu'à preuve du contraire, que le chantage par les émeutes demeure le seul moyen de “se faire respecter”.