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La gale et le ciment
M'sila ORASCOM
Publié dans Liberté le 14 - 08 - 2003

Une cimenterie fraîchement installée, des travailleurs égyptiens atteints de gale et toute une ville qui en parle.
“Les chauffeurs de taxi refusaient de nous prendre, les commerçants de nous vendre leurs produits. Partis en vacances en Egypte, certains étaient même arrêtés par la police des frontières et mis en quarantaine”, raconte Maher le grutier. Qu'est-ce donc que cette histoire de gale qui projette Orascom au centre d'un énième scandale ? La société ferait-elle fi des lois du travail au point d'infliger à ses employés une maladie comme la gale ? la gale serait-elle le bon prétexte qui permet à ses détracteurs d'en finir avec elle ? Mais en fait, la gale, c'était de l'info ou de l'intox ?
De la gale. Mais non, c'est une blague. Un ouvrier qui voyait un autre le visage et les bras recouverts de boutons a trouvé un malin plaisir à le taquiner en le traitant de galeux”, raconte Maher, la mine faussement détendue. Assis sur un lit en fer, le grutier lève les yeux, anxieux, sur ses compagnons de chambrée pour quêter un appui à sa mise au point. “Oui, oui, ce n'est qu'une plaisanterie de mauvais goût”, s'empresse de confirmer l'un d'eux. “De la gale. Mais non ! Il s'agit tout simplement d'allergies. Des travailleurs partis à la plage en sont revenus avec des boutons”, explique un autre. D'un abord très calme, celui-ci s'enflamme aussitôt. “La gale est un grand mot”, clame-t-il avec énergie. Dans cette pièce sombre, cuite par la fournaise, la honte contenue dans les regards fuyants des travailleurs se cache sous des cris d'indignation. “La gale est une maladie qui touche les gens sales. Le sommes-nous ? Regardez-nous et dites si nous sommes vraiment des pouilleux”, s'éructe Ahmed, un des colocataires. Sur les murs en ciment qui encadrent la chambre, des inscriptions à la gloire de Dieu et de son prophète marquent l'appartenance des occupants à une religion inspirant la pureté de l'âme et du corps. Dans un angle, des couvertures qui font office de tapis de prières sont enroulées en attente du prochain appel du muezzin. Elles sont entreposées en marge d'un véritable fatras. Pliées avec soin, elles contrastent, en effet, avec les piles de linge suspendues à des cintres. Sur les lits défaits, les draps froissés témoignent d'une longue sieste apaisante. Abandonnés au coin de la table du déjeuner, des couverts suscitent l'appétit vorace des mouches. En territoire conquis, les insectes bourdonnant accaparent le maigre espace. Ils profitent de l'ombre et des restes du repas pour y élire domicile. “Nous avons beau nettoyer, ils reviennent toujours”, explique Ahmed embarrassé. D'un revers de la main, il tente de chasser la nuée d'envahisseurs puis se dirige vers le coin cuisine pour préparer le thé aux visiteurs. “C'est du thé d'Egypte. J'imagine que vous n'en avez jamais goûté”, dit-il avec une pointe de fierté dans la voix. En évoquant le nom de son pays, Ahmed a le cœur lourd. “Nous sommes vos invités et vous nous traitez de galeux”, se plaint-il avec tristesse. Conducteur de travaux, Ahmed est en Algérie depuis quelques mois. Ses ancêtres ont construit les pyramides, lui est en Algérie pour monter une cimenterie à M'sila pour le compte de son compatriote, le géant Orascom. “J'ai plus de 25 ans de métier. J'ai travaillé sur des chantiers dans d'autres pays mais je n'ai jamais subi un tel affront”, dénonce-t-il. Lorsque l'information relative à une épidémie de gale chez les travailleurs égyptiens d'Orascom Construction est parue dans les journaux au début du mois en cours, Ahmed et ses compagnons d'exil sont tout de suite devenus des pestiférés. “Les chauffeurs de taxi refusaient de nous prendre, les commerçants de nous vendre leurs produits. Partis en vacances en Egypte, certains étaient même arrêtés par la police des frontières et mis en quarantaine”, raconte Maher le grutier.
Et vogue la gale
Qu'est-ce donc que cette histoire de gale qui projette Orascom au centre d'un énième scandale ? La société ferait-elle fi des lois du travail au point d'infliger à ses employés une maladie comme la gale ou la gale serait-elle peut-être le bon prétexte qui permet à ses détracteurs d'en finir avec elle ? Mais en fait, la gale, c'était de l'info ou de l'intox ?
Dimanche, 10 août. Sur la route cabossée qui mène du chef-lieu de la wilaya de M'sila à la daïra de Hammam Dalaâ, les monts d'El Hodna s'enlacent dans un tableau magnifique. Prémunies par le béton, les vastes étendues qui s'étirent au pied de la montagne sont la propriété des bergers et de leurs troupeaux.
Rien ne semble perturber cette quiétude ancestrale, même pas les grues vertigineuses qui apparaissent au loin, au bout d'une bifurcation à quelques encablures de Hammam Dalaâ. Sur le tracé de ce chemin bitumé, les kilomètres dévoilent peu à peu un vaste chantier. Un grand dôme en acier, des silos de plusieurs dizaines de mètres ainsi que des fours en béton se dressent au milieu des innombrables grues en mouvement sur plus de 150 hectares. L'activité semble intense. “Je vais là-bas pour récupérer mon camion. Je l'ai loué à la société pour le transport des matériaux”, révèle un paysan pris en auto-stop. À l'entrée du chantier, plus d'une dizaine de camions attendent leurs propriétaires. Ils partagent le parc improvisé avec une multitude de bus. Tous sont réquisitionnés pour le transport des travailleurs.
Il est 16 heures et l'heure de la sortie va bientôt sonner. Pour quitter le chantier, le personnel emprunte un petit passage aménagé en attendant le parachèvement de la construction du portail central. Sur place, les issues sont minutieusement gardées par des hommes armés.
Le fusil en bandoulière et la cartouchière enroulée autour de la taille, ils sont à l'affût. Sur les différentes allées qui parcourent le chantier, d'autres vigiles sont affectés llll à la sécurité industrielle. Ainsi mis sous haute surveillance, le site a l'allure d'une forteresse. C'est aussi une fourmilière. Dans les cabines des grues, sur les échafaudages ou à terre, les travailleurs très nombreux sont grouillants. Ils forment des brigades tournantes qui permettent de maintenir la même cadence H24. À cette heure, au moment où certains s'apprêtent à quitter leur bleu de travail, d'autres vont le revêtir, dont plusieurs des travailleurs séjournant sur le site. Formant de petits blocs similaires en parpaing, leur lieu d'hébergement se trouve à la périphérie du chantier. Pour y parvenir, il faut traverser des voies sinueuses creusées par les dents de bulldozers. Rendues boueuses par l'orage de cet après-midi d'août, elles sont impraticables. “Pourtant, nous devons les parcourir à pied tous les jours”, confie Ahmed, doyen des “missionnaires égyptiens”.
Notre conducteur des travaux occupe avec cinq de ses compatriotes la première pièce du bloc n°1. Construites autour d'une petite cour, les chambres sont habitées aussi bien par des algériens que des égyptiens. Les algériens viennent des wilayas de Mostaganem que de Sétif ou Bordj Bou arréridj. Quant aux égyptiens, ils se disent pour la plupart originaires du Caire et de sa banlieue. Venus à M'sila dans le cadre d'emplois à durée déterminée contractés avec Orascom pour des salaires alléchants, certains sont là depuis le début des travaux de montage de la cimenterie, il y a 13 mois alors que d'autres viennent d'arriver.
Même les gendarmes sont venus
Ils l'ont transformé en décharge alors que nous avons mis à leur disposition des poubelles”, constate-t-il déçu. Dans la cour et les chambres, notre guide désigne les vêtements qui pendent sur les fils à linge et les cintres. “C'est des produits de friperie qu'ils achètent dans les marchés à Hammam Dalaâ et à M'sila”, révèle-t-il. Pour ce qui est de la literie, M. Kihlane se plaint du fait que ses locataires refusent souvent de donner leurs draps au lavage. “Nous avons pourtant signé un contrat avec une laverie à M'sila”, certifie-t-il. Après l'apparition des cas de gale, le service de l'hébergement a dû renouveler toute la literie. Plus de 1200 paires de draps ont été achetés et distribuées aux locataires. “Mais même avec cela, beaucoup ont refusé de se séparer de leurs vieux trousseaux”, dénonce notre interlocuteur. Relevant leur attitude récalcitrante, le médecin du site, Gyamra Yacine, affirme quant à lui que les pensionnaires ont eu peine à sortir de leurs chambrées pour qu'elles soient désinfectées. “Il a fallu que les responsables — des Egyptiens — soient présents pour qu'ils s'exécutent après une journée d'attente”, confie-t-il. Dans le recensement qu'il a établi depuis l'apparition des premiers cas de gale, le 28 juillet dernier, le docteur compte 18 confirmés. Aussitôt alertées, les autorités sanitaires locales, dont des représentants de la direction de la santé de M'sila et du secteur sanitaire de Sidi Aïssa — dont dépend la localité de Hammam Dalaâ — se sont rendus sur les lieux pour s'enquérir de l'étendue de la maladie. “Même les gendarmes sont venus”, rapporte le médecin. Selon lui, toute l'agitation et la sur-médiatisation qu'a suscitées cette affaire de gale a trait au fait que les malades soient des étrangers. Pour preuve, indique le Dr Gyamra, 1600 cas de gale ont été enregistrés durant cette année à M'sila sans que personne ne s'en émeuve. Faisant l'objet d'une mauvaise publicité, les quelque 700 travailleurs égyptiens crient au mensonge. “Nous doutons du diagnostic du médecin. Nous voulons une contre-expertise”, exige Sameh. Sur son corps subsistent quelques boutons. Mais pour lui, il ne s'agit guère de la gale. “C'est dû à l'eau trop salée et à la chaleur”, croit-t-il savoir. Dans toutes les chambres visitées, les occupants se plaignent de la qualité de l'eau. Pour la majorité, il n'y pas de doute, elle est responsable des inflammations cutanées, une simple allergie.
“Non seulement, elle est salée, mais elle reste emmagasinée pendant près d'une semaine”, soutient Rédha, un jeune manœuvre d'au moins 24 ans. Un autre, Saâd, se plaint du restaurateur qui leur fourgue des légumes pourris. Pour autant, personne ne veut admettre qu'il s'agit réellement de la gale. Si certains reconnaissent qu'il y a un manque de propreté, ils l'imputent à des individus. “Chacun est responsable de l'hygiène de sa chambre”, professe Ali. Logé avec son frère dans une bâtisse à étages en cours de finition, il considère que la société a tout mis en œuvre pour que les pensionnaires ne manquent de rien. “Nous avons des douches, de l'eau H24, des machines à laver le linge…”, précise Ali. Cependant, tout cela ne semble pas encourager les locataires à se soucier davantage de la qualité de leur environnement immédiat. En ont-ils seulement le temps ? Car là est toute la question.
La nostalgie du Nil
“Nous travaillons dix heures par jour. Si nous sommes de service le jour, nous avons à peine une heure pour aller déjeuner dans nos chambres et retourner sur le chantier. Quand on travaille de nuit, le réveil est toujours difficile”, se plaint Saâd. Fatigue, surmenage, gastro-entérite… le Dr Gyamra reçoit près de 70 consultants quotidiennement. Tout dernièrement, la chute mortelle d'un ouvrier d'un échafaudage a mis en émoi la communauté des travailleurs émigrés. “Ils se sont tous précipités à l'hôpital”, raconte le médecin. L'éloignement a sans doute forcé leur solidarité.
De condition misérable, Maher, Ahmed, Saâd, Ali et tous les autres sont venus à M'sila construire en même temps que la cimenterie leur avenir. Très souvent, ils sont recrutés parce qu'ils acceptent de prendre des risques, de monter sur des grues à plus de 150 mètres du sol et de rester quelquefois suspendus dans le vide en cas de panne électrique.
Très souvent aussi, ils sont pris parce qu'ils ne sont guère revendicatifs. Les seules fois où il y a eu grève au chantier, les mouvements de protestation étaient initiés par des travailleurs algériens qui président aux destinées du syndicat d'entreprise.
Quant aux égyptiens, ils comptent l'argent et les jours pénibles avant le retour au pays en s'imprégnant de nostalgie parfumée. Durant les heures de répit, ils fument dans l'ombre de leurs taudis des cigarettes Cleopatra. Quelquefois lorsque le mal du pays est lancinant et le quotidien insupportable, ils laissent vaguer leur esprit sur le Nil en se délectant de bouffées de Kif.
S. L.


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