Ravissements est une mise à nu d'un être en quête de lui-même, qui se décharge du poids des souvenirs inutiles et des mots qui ne sont, dans le fond, qu'un reflet pas tout à fait vrai de la pensée. Il faut tout une existence pour apprendre à vivre avec ses cinq sens mais, qu'arrive-t-il quand on en perd un ? Comment cette perte est-elle vécue par l'homme ? Et que se passe-t-il dans son esprit et son corps lorsqu'il perd l'usage de la parole ? Voilà quelques interrogations de Ryad Girod, dans son récit, troublant et subtil, Ravissements. Le personnage principal de cette œuvre bouleversante, qui n'est située ni dans le temps ni dans l'espace, plonge dans un mutisme progressif. Il perd la parole graduellement. Ironie du sort, ce personnage, anonyme, est sous-directeur du département national de linguistique. Les mots, ça le connaît. Les maux ? Il en fait l'expérience dans la perte. Une perte, paradoxalement jubilatoire et exaltante. Car cette privation de la parole est certes subie, mais elle lui permet de s'accomplir, de retrouver sa liberté, de choisir une nouvelle destinée. De renaître tout simplement ! Dès les premières pages, on s'attend à une descente aux enfers du personnage principal, mais il n'en est rien, puisque celui-ci se débarrasse du langage comme s'il avait une prédisposition à le faire. Le protagoniste glisse vers la lumière, car la perte de la parole lui ouvre les yeux sur des voies inexplorées, rarement empruntées par l'être humain. En perdant la parole, le narrateur/personnage restitue sa mémoire par fragments, par réminiscences ; les souvenirs sont comme des pièces d'un puzzle, toutefois, il abandonne et se décharge du superflu, des anecdotes et autres histoires anodines, emmagasinées dans son subconscient, inutilement. Et même des mots. Ryad Girod expérimente, lui aussi, la perte des mots, puisqu'au fur et à mesure que l'histoire évolue, il se décharge des mots inutiles. Les phrases sont moins longues, et en toute humilité, le jeune auteur, dont Ravissements représente la première expérience littéraire, cesse d'écrire à la Proust et arrête d'embrouiller son lecteur. Cependant, Ryad Girod déroute par ses descriptions trop détaillées, les reformulations des mêmes idées et certaines répétitions, nécessaires pour associer le lecteur à son récit. Tout comme les surréalistes, l'auteur s'attend à ce que la réception suscite questionnements et interrogations… sur soi. Au fil des pages, l'auteur s'interroge sur la fonction du langage par le biais de son personnage qui dit à la page 87 : “Qu'avions-nous voulu en parlant et devions-nous nécessairement parler ?” Au fur et à mesure que le récit évolue, affleure parfois une explication à cet état inexplicable, notamment à la page 118, où Ryad Girod écrit : “Comme si la parole me quittait parce que j'étais indigne d'elle, pas à la hauteur du miracle qu'elle constitue, le langage fuit celui qui se montre en dessous de la signification, il s'appauvrit, se réduit et se décharge de toute la force de ses propos… celui qui se montre en dessous de la signification n'apercevra jamais les voies que trace la parole aux moments les plus magiques de son existence.” Le titre Ravissements est polysémique et épouse bien l'éclatement des thématiques. Toutefois, le récit se rapproche de la définition mystico-religieuse du mot ravissement : “Un état mystique, supérieur à l'extase, dans lequel l'âme, soustraite à l'influence des sens et du monde extérieur, se trouve transportée dans un monde surnaturel.” En outre, l'auteur bâtit son propos sur la question de identité - dans son sens le plus large. Cette thématique est soutenue et renforcée par l'anonymat du personnage principal et du lieu, car l'humanité est partout pareille. Le lecteur, quant à lui, ballotte entre l'empathie et la répulsion à la lecture du récit bouleversant et déroutant, Ravissement, de Ryad Girod. Ce denier s'essaie à la littérature pour la première fois, mais pour un coup d'essai, c'est un coup de maître ! Ravissements est un texte fort, à lire avec la même modération dont use son auteur pour décrire l'aspiration de chaque être humain à une vie meilleure. * Ravissements, de Ryad Girod, récit, 136 pages, éditions Barzakh (Algérie), février 2010, 400 DA.