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Boutef - Presse
Le bras de Fer
Publié dans Liberté le 17 - 08 - 2003

Bouteflika n'a jamais aimé la presse. Aujourd'hui, il se fait plaisir.
Honnie ou jalousée, la presse algérienne a acquis, au cours des dernières années, une liberté de ton que personne ne lui conteste. Y compris le président Bouteflika, contraint de faire violence à ses pulsions autoritaires. Mais c'est pour la bonne cause : dans ses interminables pérégrinations, il est soucieux d'apparaître comme un partisan de la démocratie, notamment devant ses interlocuteurs occidentaux très sourcilleux sur les questions de liberté d'expression. C'est cela qui a conduit le Président à tolérer cet alibi et non le lourd tribut de sang payé par une profession qui a suppléé les carences diplomatiques de l'Etat lorsque l'Algérie était mise en quarantaine. Et puis, fraîchement auréolé du titre d'homme de la concorde, aspirant au prix Nobel de la paix, Bouteflika ne voulait pas se compromettre sur la scène internationale où, malgré quelques critiques liées souvent à leur indépendance et souvent injustifiées, les journaux algériens ont plutôt “bonne presse”. En témoignent les nombreuses distinctions qui leur ont été décernées. Mais, au fil du temps, les réflexes ataviques du despote ont refait surface.
D'autant que les espoirs soulevés par son élection se sont effilochés. En même temps que se sont évanouis ses propres espoirs de rentrer dans l'Histoire par la grande porte. Le prix Nobel de la paix ne peut décidément être décerné à un dirigeant aux mains tachées du sang de jeunes citoyens réprimés avec une sauvagerie inouïe. Au fil du temps, le supposé homme de la concorde s'est révélé un intrigant qui sème la discorde autour de lui. Pour preuve, tous les soutiens que ses parrains avaient réussi à lui capter sont aujourd'hui disloqués. Pendant ce temps, Bouteflika faisait mine de s'accommoder de la liberté de la presse qui lui menait la vie dure. Tant que cela se limitait à la liberté du commentaire et de l'analyse, il pouvait se permettre de mépriser les “commères de bain maure” que sont les journalistes à ses yeux.
Tant que les investigations de la presse se limitaient à la description de phénomènes n'impliquant que du menu fretin, il pouvait s'en servir pour alimenter son mépris du peuple condamné à une médiocrité naturelle. Mais voilà qu'un pas a été franchi. Et de quelle qualité ! Après de dures années d'apprentissage dans la douleur, la presse algérienne a gagné en audace. Elle montre qu'elle sait faire de l'investigation. Y compris dans les travées de la République les plus infréquentables. Parce qu'hermétiquement verrouillées. Elle a réussi à s'en procurer les clefs et à dévoiler les turpitudes de dirigeants qui pillent sans honte les richesses du peuple. À ce jeu de massacre, sont associés les noms du Président et de membres de sa famille. Le mythe du Président qui promettait de combattre les mafias s'écroule. Son autorité en prend un coup. Ainsi que ses chances de conquérir un second mandat.
Que faire pour ne pas les hypothéquer irrémédiablement ?
Tout simplement, étouffer les scandales que la presse a promis de révéler. L'entourage présidentiel doit bien savoir que son ventre est “rempli de foin” pour prendre aussi peur. Pour y parvenir, le Président dispose en son Chef de gouvernement d'un homme de main sans état d'âme. Ouyahia est d'autant plus enclin à la sale besogne que son nom est mêlé aux scandales qui empestent la République. Suprême offense pour un dirigeant qui caresse le rêve fou de succéder à celui qui lui a confié les rênes du gouvernement après l'avoir humilié comme un “fraudeur” de petite envergure. La sommation faite aux journaux d'apurer leurs dettes aux sociétés d'impression n'est que l'habillage technique — et non juridique — d'une décision politique. Les quotidiens concernés pourront bien esquiver la salve mortelle de Ouyahia et de sa très dévouée Khalida Toumi, d'autres traquenards leurs seront tendus. Le peuple a été spolié de ses biens sans aucun scrupule. Pourquoi s'encombrer de délicatesse afin de le priver de cette soupape qu'est la presse indépendante ?
R. B.
Syndicat national des journalistes
“Méthodes scélérates”
El Khabar, Le Matin, Liberté, Le Soir d'Algérie, L'Expression et Er-Raï sont menacés de suspension à partir de demain, lundi. Le gouvernement a intimé l'ordre aux imprimeries de réclamer à ces six quotidiens le règlement des factures avant terme, et ce, en violation des clauses contractuelles entre les deux parties concernées. Mais force est de constater que ces mesures coercitives ne sont, en fait, qu'une riposte malheureuse qui, s'appuyant sur ce subterfuge commercial, sont éminemment politiques. Les six journaux concernés par la suspension ont ouvert leurs colonnes aux citoyens qui ont dénoncé les pratiques maffieuses au plus haut sommet de l'Etat. Les graves révélations d'actes de rapine, de torture et de dilapidations des biens de l'Etat que ces journaux ont révélées au grand public ont permis aux nombreux citoyens de réagir, d'encourager la presse et d'exprimer sa mobilisation contre la hogra. Face à ces scandales, le pouvoir politique a choisi de commettre un autre scandale : celui de les faire taire par la méthode scélérate dont il est passé maître, au lieu de s'en remettre à la justice. Intervenant dans un contexte de fortes turbulences au sein d'un système politique aux abois, cette énième répression contre les journaux par le mensonge et aux prétextes grossiers exprime jusqu'où peuvent aller les tenants du pouvoir politique, à mesure que s'approche l'échéance de la présidentielle 2004, au moment où leur mandat finissant a été celui de toutes les dérives, de toutes les perversions sur la société algérienne.
Le SNJ exprime tout son soutien aux six journaux menacés de suspension et à leurs personnels et reste mobilisé pour dénoncer ces pratiques qui tentent, de nouveau, de briser le dernier espace de liberté, la liberté d'informer.
Le bureau national
Alger, le 16 août 2003
Après les menaces sur la presse indépendante
Le dialogue compromis
Les délégués du mouvement citoyen “participeront à toute action émanant de la famille de la presse”.
La réaction des délégués du mouvement citoyen aux menaces de suspension qui pèsent sur six titres de la presse nationale ne s'est pas fait attendre. En effet, c'est lors de son conclave interwilayas à Raffour (Bouira) que la nouvelle est tombée et qu'immédiatement après, le mouvement citoyen, dont le combat a toujours été celui pour la citoyenneté et la liberté d'expression, a réagi par un communiqué de soutien publié dans toute la presse indépendante hier. Dans ce communiqué, l'Interwilayas, qui a manifesté son indignation suite à la menace gouvernementale de suspendre les six quotidiens à partir de demain, les assure de son soutien indéfectible tout en s'engageant aux côtés des éditeurs de presse et des journalistes dans toute action qu'ils compteront entreprendre si la situation persiste. Contactés par nos soins hier, des délégués du mouvement citoyen maintiennent leur position, en allant jusqu'à dire que cet incident risque de compromettre le dialogue.
Faut-il rappeler que la CADC, lors de son conclave extraordinaire de Tizi Rached, il y a une semaine, a placé, entre autres, comme préalable à tout contact avec le pouvoir, “l'ouverture des médias publics et du champ d'expression”. Ayant jugé que ce point était déjà contenu dans la plate-forme d'El-Kseur explicitée à Larbaâ Nath-Irathène, l'Interwilayas ne l'a pas maintenu comme préalable à la mise en œuvre de la plate-forme. Belaïd Abrika dira : “La décision du mouvement citoyen est très claire. Il s'agit d'un soutien agissant : nous participerons à toute action émanant de la famille de la presse.” Abrika estime qu'il faut du temps pour voir si le pouvoir compte vraiment aller jusqu'au bout de son entreprise en suspendant la parution des titres de la presse indépendante, pour décider d'une quelconque riposte. Il indiquera, par ailleurs, que, de toutes les façons, la liberté de la presse est un volet incontournable qui sera évoqué lors de la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur.
Brahim S., délégué de Mekla, déclarera qu'il ne sera pas possible de continuer la démarche entreprise jusque-là pour amorcer un dialogue, “si le pouvoir commence à fermer les seuls canaux qui reflètent réellement les positions du mouvement citoyen”. Il poursuivra en disant que le mouvement citoyen est prêt à suivre la presse dans toutes les actions qu'elle jugera nécessaires, jusqu'à décréter, pourquoi pas, une grève générale pour condamner fermement et sans équivoque la décision du gouvernement. “C'est comme couper sa langue au mouvement citoyen”, conclura notre interlocuteur.
Le délégué et ex-détenu d'Ath Jennad, Rachid Allouache, dira, quant à lui, que toucher aujourd'hui à la presse indépendante, c'est toucher au combat du mouvement citoyen qui a toujours fait de la démocratie et de la liberté de la presse un principe inaliénable de son combat. Il estimera que si Bouteflika s'apprête à museler la presse indépendante, c'est que, quelque part, il veut confirmer tous les scandales qui, depuis quelques jours, sont étalés sur les colonnes de ces mêmes journaux.
Si le pouvoir se décide à supprimer la presse indépendante, dont les journalistes ont payé un lourd tribut pour qu'elle existe enfin aujourd'hui, c'est la voix de millions d'Algériens qui s'expriment à travers ces journaux qui sera bâillonnée. Un autre délégué d'Ath Jennad, Mohand Iguetoulen, se dira décidé à soutenir jusqu'au bout le combat de la presse indépendante, les journalistes dans toute action qu'ils entreprendront pour se faire entendre et pouvoir continuer à dénoncer les pratiques du pouvoir. Il rappellera que la presse a, de tout temps, été aux côtés du mouvement citoyen et qu'aujourd'hui, il ne la laissera pas tomber.
Notre interlocuteur indiquera que si dialogue avec le pouvoir il y a, le mouvement citoyen exigera la présence de la presse indépendante, sans cela, il risque d'être retardé, voire compromis.
Il estime enfin que l'Interwilayas jugera s'il faut suspendre les contacts avec le pouvoir, si dialogue il y a, car la présence de la presse indépendante pendant tous ces contacts est plus qu'indispensable.
K. S.
Coordination des quartiers et villages
De la commune de Tizi Ouzou “vengeance”
En s'attaquant à l'un des rares acquis de l'Algérie post-indépendante qu'est la liberté d'expression en général et celle de la presse en particulier, le pouvoir maffieux et assassin, incarné par le duo Bouteflika-Zerhouni, vient de franchir la ligne rouge.
Affolés et enragés, sans nul doute, par tous ces scandales qui les touchent directement, Bouteflika et son ministre de la répression, le sieur Zerhouni, veulent se venger de la presse indépendante qui a eu le mérite de mettre à nu des pratiques maffieuses dignes des Républiques bananières. Ainsi donc, Le Matin, Le Soir d'Algérie, Liberté, L'Expression, Er-Raï et El Khabar sont menacés carrément de suspension.
Indignée par ces pratiques moyenâgeuses, la Coordination des quartiers et villages de la commune de Tizi Ouzou :
- dénonce vigoureusement cette énième dérive d'un pouvoir dictatorial ;
- apporte son soutien à ces journaux ;
- se propose de mener des actions en étroite collaboration avec les éditeurs du Matin, de Liberté, du Soir d'Algérie, d'Er-Raï, de L'Expression et d'El Khabar pour contrecarrer cet abus de pouvoir.


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