La menace de non-parution de six d'entre les titres les plus connus de la presse écrite indépendante, dès demain, n'a pas laissé indifférent le citoyen sur la place de Annaba, loin s'en faut. Pour certains, on peut même parler de stupeur. Sur le Cours de la Révolution, véritable poumon de la ville, où la plupart des gens, enfants de la ville et visiteurs, ont l'habitude de se rencontrer et de commenter l'actualité autour d'un café “Chez Berrabau” ou à “L'Eden”, ce ne sont qu'invectives et gestes las, à l'adresse de la classe dirigeante. “Ils ont recours à la stratégie du pire, chaque fois qu'ils se sentent menacés !”, lance ce professeur d'université, outré par ce procédé ignoble qui consiste “à brandir l'argument du recouvrement des créances pour interdire la parution des titres gênants”. “C'est dommage qu'on en arrive là, surtout que, dernièrement, j'affirmais à des amis tunisiens que mon pays est un Etat où la liberté d'expression est respectée et où on peut dénoncer n'importe qui, à quelque niveau qu'il soit.” “Aujourd'hui, Ouyahia annonce que la récréation est terminée !”, lui rétorque son compagnon de table. La conversation s'anime lorsqu'un homme accoudé au comptoir du kiosque leur assène : “On ne peut pas toucher les Zerhouni, Khelil et Saïd Bouteflika impunément. Dire leurs écarts de conduite, c'est un peu remettre en cause le fait du prince. Et là, la bête resurgit. Ce sont des dictateurs-nés, ces gens-là !” Pour cet autre groupe, la chose n'est pas surprenante en soi. “La liberté de la presse, que des journalistes portent à bout les bras, n'est tolérée que parce qu'elle légalise quelque part un pouvoir usurpé. Les Français et les Américains actionnent toutes les manettes du bateau Algérie !”, affirme ce retraité de la Fonction publique. Et d'ajouter : “La presse a prouvé à l'opinion internationale que les journalistes sont capables de révéler des scandales et de les traiter de manière intelligente, avec preuves à l'appui.” Un magistrat nous confiait, hier, que “la réaction du pouvoir est comparable à celle d'une bête blessée qui se lance à corps perdu dans un ultime affrontement”. Et de continuer : “Le clan au pouvoir ne pouvait, en aucun cas, lâcher l'un ou l'autre des siens impliqués dans des affaires condamnables. C'est ce qui explique son désarroi et cette réaction qui consiste à faire taire, à tout prix, cette presse qui dérange.” A. A.