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Le procès d'Albert Camus
RENCONTRE AU CCF AVEC STEPHANE BABEY AUTOUR DE SON ESSAI “CAMUS, UNE PASSION ALGERIENNE”
Publié dans Liberté le 08 - 05 - 2010

D'outre-tombe, Albert Camus déferle la chronique et attise les passions. Difficile de citer son nom, de raviver sa mémoire, sans tomber dans le travers de la justification. On se retrouve à chaque fois à faire le procès de Camus et à justifier ses prises de position, si controversées.
Ses silences concernant la question algérienne ont été trop lourds, trop éloquents et démontrent avec clarté et sans aucune ambivalence (pour une fois !) l'incapacité d'Albert Camus à choisir son camp et à se prononcer pour la juste cause de l'indépendance de l'Algérie. Les Algériens ne comprendront jamais les raisons qui l'ont poussé à occulter les Algériens dans son œuvre.
Ils le taxeront d'écrivain colonial et certains se baseront même sur les thèses d'Edward Saïd. Certes, Camus a laissé une œuvre consistante, humaniste, controversée et universelle mais si spécifique à une communauté.
Le journaliste et écrivain Stéphane Babey a été l'invité du Centre culturel français d'Alger, jeudi dernier, le temps d'une rencontre autour de son essai, Camus, une passion algérienne (éditions Mille-Feuilles). Après une brève introduction où l'émotion se lisait sur son visage, Stéphane Babey a déclaré : “Les hommes entendent les cris mais jamais les silences. Le silence de Camus était un silence de deuil.” L'auteur de l'Inconnu d'Alger a renvoyé l'assistance aux écrits de Camus sur l'Algérie dans Alger républicain et notamment son reportage sur “la Misère en Kabylie”. Cette thèse a été largement contestée dans l'ouvrage, la Grande aventure d'Alger républicain, où les auteurs Boualem Khalfa, Henri Alleg et Abdelhamid Benzine notent que Camus ne pouvait pas prendre position contre le système colonial. Car même s'il a dénoncé la misère et la pauvreté de ce système, il n'a incriminé personne et sûrement pas le système colonial. Plus loin, Stéphane Babey avoue : “Dans ce reportage, il n'y a nulle trace de collectivisation du problème algérien. Mais Camus n'est pas un politique, c'est un artiste.” Mais Camus était journaliste, alors lorsqu'il était à Alger républicain, il n'était pas encore l'écrivain chevronné et couronné d'un Nobel.
Au cours d'un débat très passionné, Stéphane Babey a estimé que l'apport des intellectuels reste dérisoire, et que si Camus s'était engagé pour l'indépendance de l'Algérie, il n'aurait eu aucun résultat. “Ce n'est pas Jean-Paul Sartre qui a obtenu l'indépendance de l'Algérie”. Quelle serait donc la fonction de l'intellectuel si celui-ci ne réagit pas à l'oppression, s'il ne se bat pas pour les causes justes et s'il ne produit pas d'idées ? Il est clair qu'un intellectuel n'a pas pour fonction d'arrêter les guerres et de cesser les injustices, sinon, il y a longtemps que nous vivrions en paix. Mais nous avons vu, ces dernières semaines, qu'une pétition a réussi à interdire une action culturelle. Alors, oui ! Un intellectuel peut faire la différence par la force de son engagement, et la foi qu'il met en son action.
Les intervenants ont également estimé que Camus a été complaisant et qu'il s'est allié aux plus forts, puisqu'il a accepté son Nobel en 1957, contrairement à Sartre, qui l'a refusé. On a même considéré – dans l'assistance — qu'Aragon méritait le Nobel plus que Camus. Mais ce sont là des questions d'idéologie. Est-ce que Camus est un écrivain de droite ? Et dans ce cas là, est-ce que la littérature de la gauche est meilleure que celle de la droite ? La question demeure en suspens ! Stéphane Babey qui a estimé que le système colonial “a créé des hybrides, des victimes”, en parlant des pieds-noirs, a conclu que si Camus était encore en vie, “il se battrait contre tous les totalitarismes”.
En somme, son drame à Camus est qu'il a choisi la “singularité de l'artiste”, et il demeure jusqu'à ce jour singulier et incompris. On pourra le critiquer, contester sa pensée, ne pas être d'accord avec ses positions, il n'en demeure pas moins que l'auteur de “la Peste” est un des plus grands écrivains du vingtième siècle. Pas besoin de le défendre, sa littérature le fait très bien pour lui. Ce qui est sûr, c'est que la passion de Camus, ce n'est pas une passion algérienne, mais une passion pour l'Algérie.


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