Après les dégâts causés la semaine dernière par les intempéries au sud de la France, on s'affaire sur la Croisette à tout remettre en ordre pour que tout soit fin prêt aujourd'hui pour le lancement de la 63e édition du Festival de Cannes. Cependant, une autre “tempête” fait rage depuis un moment et qui n'a pas cessé pour autant. C'est la tempête “Hors-la-loi”. Avant même sa projection le 21 mai prochain, “Hors-la-loi”, le tout nouveau film de Rachid Bouchareb, est au centre d'une polémique qui prend de l'ampleur du jour en jour. Prenant des proportions de plus en plus politiques, la polémique “Hors-la-loi”, si on peut l'appeler ainsi, tâtonne plus qu'elle ne mord. Des voix fusent par-ci, par-là, fustigeant le réalisateur franco-algérien et son film. En automne 2009, le député français UMP des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca, a saisi “discrètement” le secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, Hubert Falco, car fâché de la manière dont le scénario du film raconte les “massacres de Sétif”, et ce, avant même de voir le film. Dénonçant par la même occasion, le 7 décembre 2009, dans une lettre adressée à ce dernier, le “concours financier apporté par le Centre national du Cinéma”. Selon ce député, sa démarche était dictée par l'envie que le film ne soit pas dans la sélection officielle française. En fait, le projet le dérangeait, selon ses propos. Allant encore plus loin, il affirme dans une déclaration à Paris Match, le 23 avril 2010, que ce film ne représente pas la France, mais seulement l'Algérie. À croire que tout ce qui s'est passé durant la guerre de libération ne touche ni de loin ni de près la France. Toutefois, le “déclic” a réellement commencé en juin 2009, plus précisément le 18, quand ce même secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, Hubert Falco, saisit le Service historique de la défense (SHD) afin “d'analyser le contenu historique du scénario”. La réponse n'a pas tardé à tomber. Le scénario du film est truffé d'erreurs et autres anachronismes historiques, dénaturant, selon le SHD, l'histoire et le passé “communs”. Ce thème est sensible et dérangeant au point qu'il suscite même les “appréhensions” de l'Elysée, comprendre par-là le président français Nicolas Sarkozy, qui a demandé de “visionner” le film avant même sa projection. Pourquoi ? De peur qu'“Hors-la-loi” dénonce ou plutôt mette en évidence les actes criminels de guerre de la France en Algérie durant l'occupation coloniale, écorchant ainsi l'honneur de la France coloniale ? Ou bien est-ce que les stigmates et les blessures de la guerre n'ont pas encore été cicatrisés ? Ou encore parce que la France n'a pas encore fait le deuil de son passé colonial ? Pourtant les faits sont là : un certain 8 mai 1945, 45 000 Algériens – victimes – ont été tués à Guelma, Sétif et Kherrata. Ce génocide, qui ne dit pas son nom, a été qualifié par l'ancien ambassadeur de France à Alger, M. de Verdière, de “tragédie inexcusable” lors de son déplacement à Sétif le 27 février 2005. Une déclaration qui vaut son pesant d'or. À lire tout ce qui a été écrit sur ce film, une question se pose : de quoi parle-t-il ? Selon le synopsis circulant sur Internet, “Hors-la-loi” “raconte les parcours de trois frères, témoins des massacres de Sétif en mai 1945 et qui vivent ensuite en France, où ils seront plongés dans les excroissances en métropole de la guerre d'indépendance algérienne.” Le film débute là où s'est arrêté “Indigènes”. À travers son film, le réalisateur Rachid Bouchareb affirme (dans différentes déclarations) qu'il veut “faire toute la lumière sur ce pan de l'histoire commune aux deux pays”. Dans ce cas là, peut-on demander à un réalisateur un travail d'historien ? N'est-il pas libre de tourner une fiction qui se base sur un (ou des) fait historique ? Issu d'une coproduction franco-algéro-tuniso-italo-belge, le film de Rachid Bouchareb est en train de vivre le même scénario que celui vécu par l'autre film italo-algérien à succès “La bataille d'Alger” du réalisateur Gillo Pontecorvo. Une levée de boucliers sans pareil allant jusqu'à même interdire sa projection en France. L'histoire se répète. Peut-être faudra-t-il que la France s'inspire des Etats-Unis d'Amérique lorsque des réalisateurs abordent la guerre du Viêt-nam avec leur propre vision, sans crier au scandale. Une chose est sûre : la 63e édition du Festival de Cannes démarre sur les chapeaux de roues. “Hors-la-loi” fait planer le suspense. Beaucoup d'encre coule et continuera de couler même après sa projection.