le 58e Festival de Cannes s'est achevé sur un goût d'inachevé. Les observateurs sont généralement d'accord pour dire que cette édition figurait parmi les plus ternes de l'histoire de ce grand show cinématographique mondial. La raison principale est due sans doute à une sélection de faible niveau, au sein de laquelle aucun film marquant n'arrivait à émerger. Ce ne sont pas pourtant les bons films qui ont manqué cette année. Le problème vient du fait que la plupart de films en vue et des producteurs à succès sont devenus de plus en plus réticents à entrer en compétition. Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour expliquer cette désaffection des gros calibres de la production mondiale. Parmi elles, les humeurs changeantes des jurys et des choix extrêmement subjectifs selon les années. Le président de la dernière édition, Emir Kusturica, n'a pas failli à la règle. Il a même été qualifié par l'une des membres de son jury, l'Indienne Nandita Das, de « gentil dictateur ». Lors d'une conférence de presse, le lendemain de la proclamation du palmarès, il a affirmé sur le ton de la plaisanterie : « On me donne l'impression que c'était Fidel Castro le président du jury, mais ce n'était pas le cas. » A la décharge de Kusturica, des « fuites » soigneusement orchestrées ont précisé que le choix du président avait penché pour Broken Flowers de Jim Jarmusch qui n'a finalement obtenu que le Grand prix à la suite d'un compromis avec les autres membres du jury. Notons au passage qu'avec ce deuxième Grand prix, Jarmusch devient en quelque sorte le Poulidor du festival. Encore que si l'on regarde de près l'historique de Cannes, ce sont surtout les bons films consacrés par la chronique cinématographique qui ont figuré sous cette rubrique, alors que les palmes d'or se sont avérées beaucoup plus contestables. Et c'est là l'autre raison de la méfiance des grands réalisateurs vis-à-vis de Cannes. De nombreux « petits films » (pour ne pas dire médiocres) ont reçu dans le passé la suprême récompense. On peut citer dans cette catégorie Orfeu Negro de Marcel Camus en 1959, Une si longue absence de Colpi qui partage la palme avec Viridiana de Bunuel, Un homme et une femme de Lelouch mis au même rang que Signore e Signori du grand Pietro Germi, etc. Beaucoup de réalisateurs modestes ont figuré dans le palmarès à la plus haute marche tandis qu'on peut noter avec regret que nombreux sont parmi les plus grands qui n'ont jamais reçu la palme d'or malgré plusieurs participations. C'est le cas d'Alfred Hitchcock, d'Ingmar Bergman, de Pasolini, de John Ford, de Jean Renoir, de Howard Hawks, de John Huston, j'en passe et des meilleurs... On comprend pourquoi Ridley Scott ou Georges Lucas préfèrent sortir Au Royaume des cieux et Stars War III en grande pompe en mai au nez et à la barbe de Cannes, laissant aux jurys de la Croisette les films qui ont réellement besoin d'être soutenus par une campagne médiatique style vieille Europe. L'exigence de ne sélectionner à Cannes que les films inédits représente à mon sens un obstacle supplémentaire pour les producteurs qui ne veulent ni sortir leurs films après le festival trop près de l'été, ni attendre la rentrée, les effets de la promotion médiatique s'étant entre temps estompés à une époque où les nouvelles naissent et meurent aussi vite. Pour toutes ces raisons, le festival de Cannes n'est certainement pas la panacée du bon goût et pourtant il reste pour les gens du cinéma le plus important des événements mondiaux. Il fut longtemps considéré comme la « chose » des Majors compagnies américaines. Et pourtant, les films US primés ne sont pas si nombreux pour justifier une telle dépendance. En fait, ce que ces Majors aiment en Cannes, c'est son marché du film qui attire les cinéastes, producteurs et surtout distributeurs des quatre coins de la planète. Pendant un peu de deux semaines, les professionnels y achètent et vendent du rêve en image pour des milliards de spectateurs et encore plus de téléspectateurs autant voraces que volages. Cannes, c'est aussi le lieu rêvé pour les cinéastes des pays qui désirent se faire une place au soleil de la Riviera. Pour cela, et en dehors de la compétition dans laquelle quelques hirondelles venant du Sud sont invitées de temps à autre pour faire croire que le printemps est là. En marge des frous-frous et des marches feutrées qui mènent à la salle où sont projetés les films en compétition, plusieurs sections moins voyantes attirent les candidats à la gloire, mais aussi ceux qui, comme aimait à écrire Eluard, ont « le dur désir de dire » : la « quinzaine des réalisateurs » plutôt ouverte aux cinématographies émergentes, « un certain regard » davantage tourné vers le cinéma français et le marché tout court où tout un chacun peut acheter et vendre. Le festival de Cannes vend aussi du rêve et des paillettes pour que le cinéma demeure une évasion et un réconfort. Mais le cinéma serait-il ce qu'il a réussi à rester sans cette mise en scène parfois pitoyable et qui évoque le fameux Ginger et Fred de Fellini ? Et puis, il y a ceux qui n'ont rien à acheter et surtout rien à offrir et qui attendent au Blue Bar celui ou celle qui leur offrira un verre pour oublier le vide de leur existence. Le festival de Cannes, c'est tout cela à la fois. Usine de rêve, rêve de durer malgré les ans et une 58e édition qui, faute d'offrir le meilleur, a le mérite de primer des films sociaux comme celui des frères Dardenne ou celui de Jim Jarmusch ou encore le très attachant Trois enterrements de Tommy Lee Jones. A une époque où le pragmatisme et le néolibéralisme nous mènent une vie d'enfer, c'est déjà bien méritoire...