Quentin Tarantino, le patron du jury, a aussi compris dans quel sens faire souffler les palmes de la Croisette. Les folles rumeurs qui ont couru sur la Croisette, pendant les dernières quarante-huit heures qui ont précédé la proclamation du palmarès, sont symptomatiques de la qualité générale de cette cinquante-septième sélection cannoise. Jusqu'à la dernière journée, aucun témoin de ce barnum cinéphilique n'était en mesure de citer, spontanément, un véritable coup de coeur, comme Cannes a su, dans le passé, inspirer. Il y avait eu, dans le désordre, l'année Paris-Texas, Apocalypse Now, Yol ou même celle de la Chambre du fils. Mais cette année nada! La direction artistique confiée à Thierry Frémaux, a fait grimacer plus d'un du côté des quotidiens français, entre autres. Certes un sélectionneur doit être à l'écoute des pulsions du monde, comme celles qui viennent aujourd'hui d'Amérique latine (Argentine spécialement), mais il n'est pas sûr que le déferlement asiatique obéisse seulement à ce genre d'attention. Il y a aussi à regarder du côté de la forte délégation japonaise (presque cinq cents personnes) ce qui préfigure un marché de premier plan. Il y a longtemps que l'Asie a compris l'intérêt qu'elle pouvait tirer de ce genre de manifestation en général et du cinéma en particulier. Sans compter la demi-douzaine d'oeuvres nord-américaines... Quentin Tarantino, le patron du jury, a aussi compris dans quel sens faire souffler les palmes de la Croisette. Il a d'abord décidé d'exploiter un flou juridique à propos du Prix du Jury, attribué d'habitude à un film, pour en faire un couplé à départager entre un film et une actrice américaine, Irma Hall, celle de la véritable daube commise par ses potes, les frères Coen Lady Killer, que d'aucuns n'ont osé en parler tant sa présence même dans la sélection paraissait incongrue. Il semble d'ailleurs que Tarantino ait aussi fait pression pour que ce soit le film le plus violent du Festival qui parte avec la Palme d'or : Old Boy du Sud-Coréen, Park Chan Wook. Personnellement, j'ai mis plus de trois heures pour m'en remettre et de pouvoir voir un autre film. Il y aurait donc eu un tour de passe-passe pour que Tarantino cède et accepte d'intervertir l'ordre des choses. Pour que Michael Moore décroche la timbale (Fahrenheit 9/11) aux lieu et place de Wook qui part, quand même, avec le Grand Prix du Jury. Tarantino peut être satisfait, Moore fait partie de la même écurie, Miramax... Lors de sa conférence de presse Jean-Luc Godard réagissait la Mooremania ambiante en suggérant que «Bush est moins bête que Moore ne le croit et lui à moitié intelligent. Il ne fait pas la différence entre un texte et une image». Et le quotidien français Libération d'ajouter : «Il est vrai que Michael Moore n'a jamais fait dans la dentelle, imprimant d'abord sa lourdeur sur des pamphlets qui ne font pas dans la dentelle.» Pour ce qui est du Prix de la mise en scène arraché par Tony Gatlif (Exils), malgré les (fortes) réserves exprimées dans ces colonnes, lors de sa projection officielle, il est possible de dire, sans risque de trop se contredire, qu'après tout pourquoi pas? L'image est belle et le travail sur la bande son est remarquable. Donc, même si nos réserves sur le contenu persistent, il n'en demeure pas moins qu'au vu des films en lice, il n'y avait pas d'autres prétendants incontestables pour ce prix. Reste que l'Israélienne, Keren Yedaya (Or) dont on a loué, ici, le talent est à notre avis la seule méritante de la Caméra d'Or , qui récompense un premier film. Il y avait du talent dans son film et de l'humanité et l'on a été nullement surpris de l'entendre dire devant le parterre cannois et les millions de téléspectateurs ces mots de solidarité avec le peuple palestinien «victime d'un véritable esclavage». L'engagement de Yedaya aux côtés des populations palestiniennes est plus que patent et ce, depuis longtemps. Pour la petite histoire, peu de critiques du Moyen-Orient (pour ne pas dire aucun) n'est allé voir Or programmé à la Semaine de la Critique, agglutinés qu'ils étaient devant les accès des salles programmant Kill Bill 2 ou Shreck... Mais les Arabes à Cannes, c'est toujours une histoire sans aspérités et sans (presque) pas de saveur, sauf du côté de Yousri Nassrallah auteur de Bab Shams, une saga produite par Arte et que les «parabolés verront à la rentrée sur la chaîne française». Adapté du roman homonyme de Elias Khoury et d'une durée de presque cinq heures, Bab Shams, relate la tragédie palestinienne depuis la nekba causée par les sionistes, du temps de Lord Balfour aux dernières trahisons arabes...Par charité critique ou christique, nous ne reviendrons pas sur New York-Alexandrie de Chahine car cela risque, encore, de fâcher notre ami Samir Farid, l'ancien collaborateur égyptien des 2 Ecrans (défunte revue de télé-cinéma algérienne) dont la mine livide à la sortie de la projo chahinienne, renseignait sur l'ampleur des dégâts. Farid nous confiera, dans la soirée, son amertume et son pessimisme quant à un probable retour en scène du cinéma égyptien. Le débat sera-t-il ouvert dans les colonnes de la presse moyen-orientale? Peu sûr... Car, le lendemain, déjà les critiques arabes, méfiants les uns envers les autres (craignent-ils de ne plus être invités au Festival du Caire?) parlaient une seule langue, celle dont on fait les meilleures cannes... En attendant et à Cannes, Bush a servi de prétexte pour les Américains soucieux de garder la main. Comme au poker... menteur.