En dépit de ses insondables potentialités, le Sud algérien continue à fasciner le visiteur, mais intéresse peu les investisseurs du nord du pays qui sont quelques-uns à mettre leurs sous dans des projets touristiques. La “conquête” du Grand Sud par les investisseurs du Nord du pays, ce n'est pas demain le veille. Le ministère du Tourisme a beau déployer un grand battage médiatique sur la question de la relance du tourisme saharien, le mirage Sud ne fait pas perdre pour autant le nord aux “nordistes” qui sont à mille lieues de se le représenter comme un pays de Cocagne. Le Sahara ? De vastes étendues désertiques bien engorgées de pétrole mais où le dénuement le dispute à la rigueur des conditions climatiques. Certes, bon nombre d'Algériens du nord du pays, voire même de l'émigration, se rendent, le temps d'une saison touristique, dans ce désert tant magnifié et louangé dans le but de découvrir ses inépuisables trésors mais aussi de se payer quelques jours de farniente. Mais combien sont-ils à mettre la main à la poche pour lancer des projets utiles à l'activité touristique mais aussi aux populations locales, livrées mains et poings liés à la dèche ? Ils ne sont donc pas des masses à se ruer pour tenter l'aventure entrepreunariale. Disons-le tout net : ils se comptent sur les doigts d'une seule main. Et pour mieux s'imprégner de cette triste réalité, une virée dans deux villes symboles du tourisme saharien : Taghit et Beni-Abbès. Incontestablement, Taghit présente de multiples avantages, à même de forcer la main à l'investisseur le plus récalcitrant. Des mosaïques paysages d'une beauté à vous couper le souffle, une proximité avec le chef-lieu de wilaya duquel elle est distante de 100 km à peine, une grande présence médiatique depuis plusieurs années, la disponibilité d'assiettes à des prix très concurrentiels, etc. Paradoxalement, l'enchanteresse, comme on aime bien l'appeler, n'en tire pas un grand bénéfice, côté investissement privé s'entend, même si, comparée à Béni-Abbès, elle est plus ou moins mieux lotie. Pour le moment, seuls deux projets sont à mettre à l'actif des investisseurs du Nord du pays: l'ancien motel du bordj du vieux ksar, repris et réhabilité par M. Zouiche, venu d'Alger et la construction d'un complexe touristique cinq étoiles par M. Adjlia, un architecte algérois, originaire de Béjaïa. Le premier sera opérationnel dès le début de la prochaine saison touristique, tandis que le deuxième ouvrira ses portes en 2012. Selon M. Nadhor, président de l'APC de Taghit, celui-ci a connu beaucoup de retard dans sa réalisation. Mais n'y a-t-il pas d'autres investisseurs qui se sont manifestés pour se lancer dans l'aventure entrepreneuriale ? “Oui, il y a une demande. J'ai reçu ici dans mon bureau plusieurs personnes. Même les frères Keramane étaient venus chez nous, en 2006 et 2007, avec l'intention de construire un complexe. Malheureusement, ils ne sont plus revenus. Ceci dit, on ne peut rien faire pour les investisseurs. L'octroi des autorisations et les affectations de terrain ne sont pas de notre ressort”, explique le P/APC de Taghit. À l'entendre, la commission Calpi de la wilaya de Béchar ne s'est pas réunie depuis… une décennie. Il dit mettre ses espoirs sur les changements apportés à la loi sur les investissements. Surtout que sa commune compte une ZET vierge et ne fait pas face au problème de l'indisponibilité de terrains. Le cas de Béni-Abbès est encore plus critique. Le seul investisseur qui a osé s'installer ici est M. Sahnoun, un habitant d'Alger, originaire de Skikda, qui a repris, en 2009, l'hôtel le Grand Erg. Pourtant, côté potentialités, cette ville chargée d'histoire en a à revendre. En plus du vieux ksar, enfoui dans l'une des plus belles palmeraies du pays qu'irrigue à profusion l'oued Saoura, la ville, où Ferhat Abbas avait été assigné en résidence surveillée, dispose d'un musée et d'un zoo, les seuls dans tout le Sahara algérien, mais aussi d'un ermitage tenu jusqu'à ce jour par une dizaine de disciples du père Charles de Foucauld. Et, outre les amateurs de ski sur sable, la chaîne de dunes qui l'enlace est aussi très prisée par les personnes souffrant de rhumatismes qui, l'été, viennent en grand nombre à Béni-Abbès. En un mot, cette région se prête admirablement aux multiples formes de tourisme, culturel, cultuel, scientifique, religieux, sportif, etc. Autre chose. La route des ksours, qui relie toutes les oasis de la Saoura à Timimoun, sera bientôt fonctionnelle et les travaux d'un aéroport sont lancés depuis belle lurette. C'est dire combien cette région est propice à l'investissement. Pourtant, la réalité est tout autre. En plus de l'hôtel Grand Erg, une femme, de Béni-Abbès, compte lancer le projet d'un village touristique qui sera construit au pied de la grande dune, là ou se tenait chaque année le festival “les nuits métisses”, à proximité de l'hôtel Rym. À quand le lancement des travaux ? “Elle a eu la décision d'affectation de terrain. Elle est venue récemment ici dans mon bureau et compte lancer les travaux incessamment. Il faut compter au minimum trois ans pour que ce projet soit réalisé”, dira M. Karbouâa, le directeur du tourisme de la wilaya de Béchar. Questions : pourquoi alors tant de réticence chez les investisseurs du Nord du pays à se jeter dans la gueule du loup ? Les populations locales voient-elles d'un mauvais œil l'installation chez elles de gens venus du Nord du pays ? “Pas du tout. Nous avons la culture du tourisme. Tous ceux qui peuvent apporter un plus sont les bienvenus”, assure le P/APC de Taghit. “Bien au contraire, celui qui vient investir chez nous bénéficie d'une aide aussi bien matérielle que morale. Tout nouvel investissement, ce sont des emplois en plus”, renchérit M. Bouhada, P/APC de Béni-Abbès. Son explication ? “Le manque de publicité dont a souffert la région”, déplore-t-il. Un point de vue que partage M. Zouiche, qui met ce peu d'empressement à investir dans le Sud sur le compte de la méconnaissance de son potentiel. “On a médiatisé les beaux paysages de la région mais pas ses opportunités d'investissement”, souligne-t-il. “Les gens n'y croient pas trop. Beaucoup d'investisseurs sont partis là-bas et sont revenus. Avec le froid et la chaleur qui y sévissent, ce n'est pas facile de rester. Il faut avoir les nerfs solides et le souffle long”, explique, pour sa part, M. Adjlia. Côté direction du tourisme, l'argument est tout trouvé, quoiqu'il ne manque pas de pertinence : le terrorisme. “Le tourisme n'a pas encore pris son essor chez nous comme c'est le cas en Tunisie et au Maroc. La décennie noire nous a beaucoup pénalisés. Ce n'est que maintenant qu'on commence à s'ouvrir un peu”, explique M. Karbouâa. Mais que fait la direction du tourisme pour médiatiser les potentialités de la région ? “Nous avons participé dernièrement à la Conférence internationale sur le GNL,en mars dernier à Oran.” Béchar a-t-elle pris part au dernier Salon international du tourisme de Paris, histoire de vendre le produit touristique local ? “Non. C'est l'EGT d'Oran, dont dépend notre direction, qui y a pris part. On leur avait donné des dépliants et des cartes de la région”, répond M. Karbouâa. En somme, on confie à des cadres, vivant le plus clair de leur temps à Oran, la rude tâche de faire de la réclame pour des sites touristiques de Béchar qu'ils ne connaissent peut-être pas très bien. Bureaucratie, quand tu nous tiens !