L'Algérie a des avantages comparatifs exceptionnels pour bâtir une économie compétitive, ouverte sur le monde. Avec le retournement du marché international du gaz, et ses conséquences directes sur les recettes tirées des hydrocarbures, l'Algérie devra au plus vite utiliser ses atouts pour enclencher un cercle vertueux, capable de préparer solidement l'après-pétrole. Des mesures pragmatiques et immédiates peuvent y contribuer, sans nécessiter des déchirements ou des remises en question drastiques des options idéologiques ou politiques existantes. Une prise de conscience peut-être plus aiguë des contradictions de l'économie algérienne a amené récemment plusieurs commentateurs à soumettre des articles de fond dans le quotidien Liberté, à la suite du papier de Taïeb Hafsi. Chacun à sa façon, les différents commentateurs ont mis à nu les origines de ces contradictions ; et ont révélé les processus qui ont amené à des situations de blocage qui éloignent l'espoir de faire sortir un jour notre pays de l'économie de rente. Ce sont là des contributions essentielles qui éclairent avec une grande acuité les problèmes économiques que vit l'Algérie depuis l'Indépendance. Ce débat est nécessaire et gagnerait à être élargi à tous ceux qui se préoccupent du devenir de notre pays. Toutefois, il ne faut pas que ce débat soit cantonné à la seule explicitation des problèmes ou à la proposition de solutions qui nécessitent des changements systémiques jusqu'au plus haut niveau de l'Etat. Certes, les problèmes économiques de l'Algérie ont des causes systémiques qui trouvent leur origine dans l'intrusion trop forte du politique dans la sphère économique. Faire bouger les lignes, provoquer des remises en question douloureuses, mettre en place des modes de gouvernance rénovés dans le fonctionnement des structures de l'Etat… sont des avancées qui aboutiront sûrement un jour. Mais il faudra vraisemblablement beaucoup de temps pour qu'on y parvienne. Mais d'ici là, les problèmes économiques du pays ne pourront que s'exacerber avec l'issue fatale que l'on imagine : c'est-à-dire, l'explosion sociale. Il faut donc imaginer rapidement des approches pragmatiques qui ne remettent pas en question les équilibres politiques ; et qui sont en même temps à la portée des acteurs concernés. Ces approches pragmatiques sont d'autant plus urgentes que l'Algérie est en train de perdre de façon plus rapide que prévu ses marges de manœuvre. En particulier, le retournement inattendu du marché du gaz, avec la révolution des gaz schisteux, va amener l'Algérie à revoir complètement ses prévisions de recettes des hydrocarbures ; et se résoudre donc à ne plus compter sur l'aisance financière des dernières années. l'Algérie n'aura d'autre choix que de jeter, dès aujourd'hui, les bases d'une économie réellement compétitive et ouverte sur le monde. Cette approche pragmatique n'est pas une simple vue de l'esprit. Car les exemples ne manquent pas. Songeons à la Chine populaire ou au Vietnam d'aujourd'hui qui ont su créer les conditions d'un développement économique rapide et fort à l'ombre d'un système politique qui est resté fondamentalement le même. On peut aussi citer le cas de la Syrie de Bachar El-Assad qui a fait ces trois dernières années des progrès économiques considérables malgré la présence d'un pouvoir politique toujours marqué par une grande rigidité. Auparavant, il faut se remémorer les exemples de l'Espagne franquiste et de la Corée du sud dans les années 1960 ou, plus récemment, les cas de la Turquie ou de la Thaïlande. Autant de pays qui ont connu des réussites économiques exemplaires et où les régimes politiques ont mis plusieurs décennies pour se réformer. Quelles peuvent être ces approches pragmatiques ? Les expériences réussies permettent de proposer deux principes, au demeurant parfaitement connus, qui peuvent fonder ces approches. Le premier principe consiste à libérer le plus possible l'acte d'entreprendre. Les exemples qui viennent d'être rappelés montrent tous que la libération de l'initiative privée a été décisive dans les succès enregistrés. Comment libérer l'initiative privée locale ? À cet égard, deux avancées majeures devront être faites sans plus tarder. La première consiste à ne plus considérer que certaines activités dites “stratégiques” sont, de fait, interdites aux opérateurs privés. Dans l'économie moderne, il n'y a plus d'activités “stratégiques” du moment qu'elles sont soumises aux lois du marché. Nous l'avons vu dans le secteur des télécommunications, longtemps considéré comme stratégique et qui, en s'ouvrant, a été un levier exceptionnel de modernisation de l'économie. L'autre avancée majeure c'est d'opter pour un système de stimulation qui favorise de façon consistante les entreprises créatrices d'emplois et de richesses. Créer des emplois durables c'est participer à la résolution de l'un des problèmes les plus dramatiques de l'Algérie d'aujourd'hui, le chômage. Il est donc naturel que l'on encourage les entreprises qui créent des emplois ; mais il faudra le faire de façon autrement plus consistante que ce qu'offrent aujourd'hui les dispositifs actuels Andi ou CPE (contrats de préemploi). Il faudra, en effet, que ces aides à la création d'emplois soient suffisamment attractives pour que les entrepreneurs soient incités à investir sur le long terme plutôt que dans des activités où le recours à des CDD leur paraît moins risqué. C'est à ce prix que l'Algérie pourra réellement s'industrialiser. Le critère qui donne la meilleure mesure de la création de richesses pour l'Algérie c'est l'exportation. Car notre pays a un besoin impérieux de sortir de sa situation de mono-exportateur. Il faudra donc encourager de façon exceptionnelle les entreprises locales qui consacrent une proportion significative de leur production à l'export. Pour cela, les expériences mondiales sont particulièrement riches en termes de dispositifs d'encouragement. Des dispositifs qui ne se limitent pas à la seule exonération des droits de douane. Il faudra surtout mettre à la disposition de ces entreprises les infrastructures indispensables pour réduire au minimum leurs coûts. Dans ce contexte, il faudra recourir de façon massive aux formules qui ont fait largement leurs preuves dans tous les pays qui exportent avec succès : zones franches, zones d'expansion, zones spéciales… Or nous sommes en 2010 et l'Algérie n'a même pas une seule infrastructure de ce type ! Comment, dans ces conditions, pouvait-on espérer développer les exportations hors hydrocarbures ? Nous nous sommes souvent gargarisés de nos 1 200 kilomètres de côtes. Mais qu'avons-nous fait de nos côtes alors que nos villes et nos ports sont asphyxiés ? Elles sont en friche alors qu'elles peuvent accueillir des concentrations industrielles fortes, organisées en parcs technologiques puissants, gérées de façon autonome, dotées de ports de taille mondiale et de liaisons efficaces, rassemblant des entreprises performantes qui joueraient le rôle de locomotives à des milliers de PME autour d'elles. C'est ce que font aujourd'hui les Marocains, les Tunisiens, les Egyptiens ou les Syriens, pour ne prendre que ces exemples sur le pourtour sud-méditerranéen. Le grand Fernand Braudel aimait à dire que “le Maghreb est un coin de l'Europe fiché dans le continent africain”. Cette image saisissante illustre parfaitement la possibilité pour l'Algérie de s'ériger en puissance industrielle moderne, mobilisant ses avantages compétitifs pour conquérir le marché européen. La côte algérienne a vocation à devenir la Silicon Valley de la Méditerranée du sud. Le second principe consiste à faire jouer au maximum les avantages comparatifs qu'offre l'Algérie. L'Algérie n'en manque pas et ils sont consistants. Quatre d'entre eux sont particulièrement décisifs pour asseoir une économie compétitive. C'est d'abord notre marché intérieur. Un pays qui importe annuellement pour plus de 40 milliards de dollars est assurément un marché qui peut offrir des débouchés consistants à des productions industrielles locales de taille mondiale. Des productions de taille mondiale situées à proximité de l'un des plus grands marchés mondiaux, l'Europe. Notre proximité avec l'Europe apparaît ainsi comme notre autre avantage comparatif qui peut nous positionner devant les pays asiatiques et les Amériques en matière de coût de transport. L'accès à l'énergie à des coûts compétitifs est l'autre avantage comparatif qui, dans beaucoup d'industries, donnerait à l'Algérie jusqu'à 40% de gain de productivité par rapport aux producteurs dans les pays moins dotés. C'est le cas, par exemple, de la sidérurgie, de l'aluminium, de la pétrochimie, du ciment… Dans toutes ces filières, l'Algérie a tous les atouts pour créer de vrais champions internationaux, capables de se mesurer aux plus grands producteurs mondiaux. Une économie compétitive c'est aussi une main-d'œuvre nombreuse et bien formée. Contrairement aux clichés trop facilement galvaudés, l'Algérie n'est absolument pas pauvre dans ce domaine. Au contraire, notre pays dispose d'une jeunesse nombreuse, ouverte sur le monde, malléable à souhait et prête à absorber des connaissances nouvelles. C'est un véritable réservoir d'énergie et de talents qui ne demande qu'à être mobilisé dans des organisations industrielles performantes. L'expérience a largement démontré que les jeunes Algériens, fraichement sortis de l'école algérienne, ont été capables de maîtriser les process industriels les plus complexes lorsqu'on les a convenablement formés sur ces process et mis dans des conditions de travail suffisamment stimulantes. L'école algérienne a, certes, ses déficiences propres et nécessite des réformes majeures ; mais elle a le mérite de former des théories d'Algériens et d'Algériennes qui peuvent devenir rapidement les “guerriers” des batailles économiques que l'Algérie pourra livrer et gagner. C'est là le quatrième avantage comparatif de l'Algérie ; et ce n'est pas l'un des moindres. Peu de pays au monde disposent de tels atouts. Nous avons donc de réelles possibilités pour bâtir une économie compétitive. Les enjeux auxquels nous devons faire face – érosion prévisible de nos ressources tirées des hydrocarbures et gonflement de la demande sociale – nous imposent de mobiliser au plus vite ces atouts. Ce n'est plus une question de débats d'école ou d'options politiques majeures. C'est une question de sécurité nationale ! Les démarches pragmatiques qui viennent d'être proposées sont frappées du coin du simple bon sens. Elles ne devraient souffrir d'aucune forme d'opposition de qui que ce soit ; si tant est que seul l'intérêt du pays compte. Elles peuvent être mises en œuvre immédiatement car elles ne demandent pas d'efforts importants à l'Etat, qu'ils soient financiers ou organisationnels. En outre, ces démarches viennent appuyer les dernières mesures gouvernementales pour favoriser la production nationale. D'un autre côté, les entrepreneurs privés algériens, du moins les mieux organisés d'entre eux, ont amplement démontré leurs capacités de se mesurer avec succès aux grandes entreprises mondiales en mettant en place des industries hautement performantes et compétitives sur les marchés extérieurs. Ces pionniers ont montré la voie. Ils ont prouvé que l'ambition industrielle algérienne n'est pas une vue de l'esprit. Il s'agit de démultiplier ces initiatives réussies en permettant à un plus grand nombre d'entrepreneurs de prouver leurs talents de créateurs de richesses. Bien évidemment, ces décisions ne suffiront pas à elles seules à mettre l'Algérie sur la voie d'une croissance économique auto-entretenue. Mais elles auront le grand mérite de lancer un message fort aux différents acteurs. C'est ce message fort qui va redonner confiance aux acteurs du développement : les entrepreneurs algériens en premier, mais aussi à toute la communauté économique, en Algérie comme à l'étranger, qui veut miser sur l'avenir industriel du pays. Et c'est cette confiance retrouvée qui permettra de lancer plus sereinement les grands chantiers de réformes indispensables dans les domaines de la fiscalité, du système bancaire, de celui de l'enseignement et de la recherche… En attendant que ces chantiers soient lancés et aboutissent, l'économie algérienne a besoin aujourd'hui d'un choc pour la réveiller. C'est ce que pourront provoquer les mesures pragmatiques suggérées. Car, pour reprendre Victor Hugo : “Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie il faut l'action ; la force vive achève ce que l'idée a ébauché.” (*) consultant en management. [email protected]