Loin d'être des instruments qui émettent de simples bruits à faire euphoriser la danse, la composition instrumentale de la percussion kabyle traditionnelle, jusque-là confinée dans une vision péjorative folklorisée, émet des hauteurs harmonieusement cadencées à la théorie musicale. À travers son nouvel album, chikh Youcef s'est appliqué à perfectionner le genre musical de la percussion traditionnelle kabyle, un art peu ou pas décrit ni étudié. C'est pour cette raison que le produit de Chikh Youcef pousse à une curiosité de description et d'analyse que les spécialistes du monde de la musique devraient intéresser. Originaire des At Abbes, sur le flanc sud de la vallée de la Soummam, la percussion traditionnelle s'est répandue presque à toute la Kabylie du nord. Cependant, des variantes dans la composition des équipes et l'usage interféré des instruments la composant ont été introduits. Mais le genre strictement originel est demeuré le modèle dominant appelé “thaâebbasit” du nom de sa région d'origine et que les virtuoses Alilouche, son frère Qasi Boudrar, Aberkan At Ali, Rrouji, Amar Ouziri, Rabiâ Ouali, Azwaw, Baha, Mbarek, Ourabah, Tahar Ikhoufach, Messaoud Ferhat, Cherfaoui, Mestapha n Boufafel auprès de qui Youcef a fait ses classes, dira-t-il, et bien d'autres encore ont perpétué. À l'inverse de la batterie, composée de plusieurs percussions et jouée par une seule personne, la percussion traditionnelle kabyle est composée d'un tambour à deux membranes ou caisse claire, d'un amendayer, large cerceau formé de bois en hêtre à une membrane traversée au diamètre par des fils synthétiques et, enfin, de deux flûtes. Quatre musiciens composent le groupe. Pendant longtemps, le genre a été considéré comme une seule unité musicale à produire un effet dansant lors des fêtes, sans plus. On croirait qu'il n'y a rien de particulier en cet ensemble appelé indifféremment la “troupe”. Mais pour une ouïe attentive, il en est tout autrement. La “troupe” est en réalité un véritable orchestre qui joue des rythmes accordés sur les quatre instruments à la fois. Chaque rythme, chaque combinaison de la percussion porte un nom technique joué sur les différents thèmes et évènements. L'entrée de jeu se fait autour d'une chorégraphie que Chikh Youcef a repensée. La particularité principale qui caractérise l'orchestre est la position stricte et inchangeable de chaque musicien. Cet ordre de placement en deux rangées obéit à l'harmonie du jeu musical. Si un déplacement intervient, alors la rythmique est bouleversée. Le chef d'orchestre a toujours été considéré comme étant le percussionniste sur la caisse claire. Mais le rôle principal et de guide est plutôt joué par le flûtiste placé immédiatement derrière la caisse claire. Le deuxième percussionniste joue de l'amendayer dont les frappes et les variations produites par les vibrations sonores des fils égalisent et équilibrent l'ensemble sinusoïdal et derrière lequel le deuxième flûtiste vient en soutien pour donner de la mesure à l'écho. C'est la polyphonie qui oriente et commande la gestuelle du corps des danseurs et danseuses sur piste. Loin d'être des instruments qui émettent de simples bruits à faire euphoriser la danse, la composition instrumentale de la percussion kabyle traditionnelle, jusque-là confinée dans une vision empreinte de péjoration et folklorisée, émet des hauteurs harmonieusement cadencées à la théorie musicale. Elle est une musique des sons qui ne se métisse avec aucun autre genre. C'est cette intense émotion que Chikh Youcef a réussi à soutenir en apportant sa touche personnelle dans la notation musicale.