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Voyage à travers les « frappes » persanes
TRIO CHEMIRANI À ALGER
Publié dans L'Expression le 29 - 11 - 2001

« O Dieu, donne aux musiciens des doigts de sucre et pour le zarb, une main de fer ! », dixit Djalal - Ud - Dîn Rûmi, XIII siècle...
Après s'être illustré au printemps dernier à la salle Ibn Zeydoun de Riad El Feth, le percussionniste franco-iranien, Keynan Chemirani est de retour. Il sera accompagné cette fois-ci, non pas de la formation Chant du monde de Jean-Marc Badovani - souvenez-vous - mais plutôt de son père Djamchid et son frère Bijau, tout aussi d'incroyables musiciens, pour une soirée exceptionnelle, 100% percussion, assurée par cette principale percussion iranienne: le zarb. Cet instrument de musique original est en fait un simple tambour fait d'un corps de bois enforme de calice tendu d'une peau de chèvre «Zarb» est par ailleurs un mot arabe qui signifie «frappe» et les persans lui donnèrent l'acception de «rythme», de temps (d'une mesure musicale), de tempo donc. Il n'est plus considéré aujourd'hui comme un simple instrument accompagnateur où l'on exige peu du joueur. Accompagnant ordinairement les compositions rythmées de la musique savante, quelques grands percussionnistes ont durant le siècle dernier développé ses capacités techniques à même d'en faire à présent un instrument festif à part entière. Jouer du zarb demande ainsi une grande souplesse des poignets, une agilité des doigts concentrés sur la membrane mais aussi sur les bords, quelques fois, les ramures ou la caisse.
La percussion orientale est une affaire de famille chez les Cheminari. Ces derniers ont toujours travaillé dans leur maison familiale. Ce trio, père et fils, puise sa substance musicale de la poésie persane - dont s'inspirent les rythmes traditionnels - pour développer sur elles des harmonies modernes, où l'accent est mis sur les polirythmies et sur la multiplicité des sons. A l'écoute de quelques-uns de leurs morceaux, on croirait entendre tomber de la pluie, un doux bruit caressant nos oreilles. De leurs habiles doigts de magicien, le trio parvient à créer une atmosphère à la foi zen et apaisante. Dépouillées de tout artifice les notes qui se dégagent de zarb, se veulent sauvages et sensuelles et même parfois amples, revigorantes. Disciple du grand maître Hosein Teherani, le père Djamchid Chemirani, a le mérite d'avoir introduit la musique traditionnelle iranienne en Occident. Etabli en France depuis plus de 30 ans, il est désormais considéré comme le maître incontesté du zarb. Né à Téhéran en 1942,il étudie le zarb dès sa huitième année apprenant très vite à jouer de cet instrument. Lorsqu'il est arrivé à Paris en 1961,il révèle à «l'autre» toute la beauté que recèle sa culture musicale. Science approfondie des rythmes, technique stupéfiante, Djamchid Chemirani possède ces qualités à un degré exceptionnel. Ce musicien monumental se produit aujourd'hui aux côtés de Maurice Béjart, Caroline Carlson (pour la danse).
Pour le théâtre, il a participé au fameux Mahabharata de Peter Brook, sans oublier le cinéma auquel il a pris part. Il compte à son actif une dizaine d'enregistrements discographiques. Son fils aîné s'appelle Keynan.
Ce charmant garçon est né en 1968 à Paris. Il a commencé à apprendre le zarb dès l'âge de 13 ans auprès de son père, assimilant rapidement la technique et le savoir traditionnel. Jusqu'en 1989, il suit parallèlement des études de mathématiques jusqu'en maîtrise et entame une carrière internationale en tant que soliste et accompagnateur. Il joue aussi du Udu, une cruche en terre utilisée en Orient et en Afrique, ainsi que du bendir et du riqq, deux percussions méditerranéennes. Keynan donne de nombreux concerts en s'associant aux différentes formations traditionnelles notamment en duo avec son père, avec Hassan Tabbar, avec l'ensemble Kudsi Erguner (musique ottomane), avec Françoise Ailan (musique et chants judéo-espagnols), avec R.Shankar Misha (rencontre de percussions indiennes et iraniennes : tabla et zarb)... C'est dire l'immense richesse musicale dont le musicien se nourrit! Outre la musique orientale, Keynan a souvent pris part à des formations de jazz, de musique contemporaine ou improvisée notamment avec le Quartet de World music Ur avec Michel Bismut, Jorge Pardo et Nabil Khabidi, le trio Alazar avec Carlo Rizza et Michel Montanaro... Keynan possède une discographie aussi bien riche que variée, en solo ou en groupe. Son frère Bijan, a commencé très jeune à jouer le zarb auprès de son père Djamchid Chemirani. Baignant dès son plus jeune âge dans une ambiance musicale, voyant passer à la maison bon nombre de musiciens tels que Dairoush Tala'i, il assimile très vite la technique de l'instrument et le savoir traditionnel. Il s'initie plus tard aux techniques du daf iranien, ce tambour sur cache muni de multiples anneaux métalliques. Encouragé par son frère Keynan, il commence alors très jeune à se produire en concert en accompagnant des musiciens tels que Henri Agnel, Ross Daly, H.Omouni, Socrate Sinpoulos, Patrick Vaillant, Juan Carmona et des chanteuses comme Amina Alaoui, Parissa et Houria Aïchi pour les musiques traditionnelles. Il participe aussi à des concerts de jazz avec Chico Freeman, Albert Mangelsdorf, Percussions orchestra, Jean-Marc Padovani, Renaud Garcia, Fons...
Parallèlement, il apprend le répertoire iranien sur le Kamantché auprès de Cyrus Rangsbarr. En 1999, il compose la musique du documentaire de Pascal Vacellin Le pouvoir du FMI pour Arte.
Lui aussi compte quelques enregistrements à son actif, notamment en trio et en duo avec Socate Sinopoulos. Organisé par le CCF, le concert de ce trio de choc est prévu samedi prochain, à partir de 20 h 30, à la salle Ibn Zeydoun de Riad El Feth. L'intégralité de sa recette sera versée au profit des sinistrés de la dernière tragédie nationale, nous apprend-on. Une bonne occasion de joindre l'utile à l'agréable.
Véritablement, ce rendez-vous avec les Chemirani est à ne rater sous aucun prétexte!


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