Inutile de revenir sur le caractère illégal et criminel de l'agression meurtrière des forces armées israéliennes contre la flottille humanitaire, sur laquelle tout a été dit ou presque. Mais il ne serait peut-être pas inutile d'en considérer, avec le recul nécessaire, les conséquences politiques, diplomatiques et sur les équilibres dans la scène moyen-orientale. La première victime collatérale de l'agression est l'initiative américaine des discussions de proximité entre Israël et l'Autorité palestinienne, par l'entremise de Washington. Déjà que les pourparlers indirects ne promettaient pas de grands espoirs d'avancées significatives, on peut considérer désormais qu'ils sont remisés au placard pour longtemps. C'est dire que l'Administration Obama sera gênée aux entournures, incapable qu'elle est de condamner clairement les maîtres de Tel-Aviv. Sera-t-elle alors tentée d'imposer une solution unilatérale à son encombrant allié ? Rien n'est moins sûr. Ce qui est évident, en revanche, c'est que le Hamas a été renforcé, ce qui implique un affaiblissement de l'Autorité palestinienne qui aurait du mal à justifier une reprise – ou une poursuite – des contacts avec le gouvernement israélien. L'Egypte est l'autre pays que les évènements mettent dans une situation inconfortable. Ayant érigé un mur le long de sa frontière avec la bande de Gaza, contribuant ainsi à rendre intégral le blocus qui fait des Gazaouis des prisonniers à ciel ouvert, les autorités du Caire ont été contraintes de rouvrir un point de passage pour éviter d'être définitivement considérées comme le complice actif de l'Etat hébreu. Le geste égyptien, consenti à contrecœur, ne grandit pas pour autant l'Egypte : c'est tout juste s'il ne met pas en lumière les pressions supplémentaires qu'il a exercées sur les habitants de Gaza au grand bonheur du gouvernement israélien. C'est aussi un signe de déclin de ce pays qui peine à trouver son rôle dans la région, malgré la sollicitude encore récente de Washington à son égard. Autre conséquence, qui n'est pas des moindres : Israël vient de perdre un précieux allié, la Turquie. S'agissant du seul pays musulman à entretenir une coopération militaire avec l'Etat hébreu, la perte est grande pour ce dernier. Certes, la qualité des relations entre les deux pays a commencé à se dégrader depuis plusieurs mois, alternant “coups de gueule” médiatiques et mini-crises diplomatiques. Ainsi, lorsque le Premier ministre turc a quitté avec fracas une tribune internationale qu'il partageait avec le président israélien Shimon Peres, les images ont fait le tour du monde et suscité l'approbation de la rue arabe à la recherche de nouveaux héros. Le lourd tribut payé par les Turcs, au cours du raid assassin d'Israël au large de Gaza, et la réaction énergique des autorités d'Ankara ont définitivement conquis le cœur des foules arabes, déçues de la passivité, de l'impuissance et, parfois, de la compromission de leurs propres gouvernements. Ces évènements, conjugués à une diplomatie discrète mais efficace d'Ankara, qui a su renouer avec la Syrie et l'Irak, deux anciennes provinces de l'empire ottoman, élisent la Turquie à un rôle et une influence de tout premier rang dans la région du Moyen-Orient, au détriment de l'Iran, perçu jusqu'ici comme le seul Etat capable de tenir la dragée haute à Israël, de l'Egypte en déclin et de l'Arabie Saoudite trop compromise avec les Etats-Unis. Pour autant, Israël ignorait-il les conséquences de son acte ? Sans doute pas. Mais il est une réalité récurrente : à chaque fois qu'une initiative de paix entre Israël et les Palestiniens est engagée, il se produit un événement pour la saper. C'est le cas, notamment, avec l'assassinat de Rabin et avec l'opération “Plomb durci” dans la bande de Gaza. Dans tous les cas, il y a une constante dans la politique d'Israël depuis la création du mouvement islamiste Hamas. Toutes ses agressions, toutes ses initiatives ont directement ou indirectement renforcé ce mouvement, dont le discours et les attentats sporadiques offrent à Tel-Aviv des justificatifs inespérés à son inflexibilité et à sa politique d'occupation visant à rendre impossible, à terme, la concrétisation d'un Etat palestinien souverain et viable.