Trois voix ont ouvert de nouvelles voies aux lecteurs du roman troublant et fragmentaire d'un auteur qui pose et se pose de véritables questions sur son activité littéraire. À sa sortie, en 2007, Archéologie du chaos (amoureux), de Mustapha Benfodil, n'avait laissé aucune chapelle littéraire indifférente, tant l'auteur avait pris de risques afin de peindre un roman urbain, truffé de calembours et de clins d'œil artistiques. Alors qu'Andy Warhol proposait au XXe siècle le concept du pop'art, Mustapha Benfodil a suggéré à ses lecteurs le concept de pop' littérature. Archéologie du chaos (amoureux) a traversé la Méditerranée, a atterri au théâtre de la Parole de Marseille et tombé entre les mains de Julie Kretzshmar, qui a sélectionné des extraits pour des lectures théâtralisées. Avant-hier après-midi, l'espace Noun a reçu ce metteur en scène ainsi que ses trois comédiens, Sharmila Naudou, Eric Houzelot et Thomas Gonzalez, pour une lecture de fragments de Archéologie du chaos (amoureux). Les extraits choisis ont permis à l'assistance de redécouvrir ce texte fort, codé et qui dit, avec grande lucidité, la déchéance humaine et plus encore, la déchéance artistique. Les comédiens ont été sincères, fragiles, bouleversés par le texte et bouleversants. Sharmila et Eric ont commencé par le commencement, par l'archéologie du chaos de Yacine Nabolci, le double littéraire de Marwan K. Tout a commencé lorsque ce brillant esprit a été troublé par la vision de l'entrejambe d'une femme. Thomas s'est chargé de transmettre le chaos intérieur de Marwan K. à travers la lecture du Carnet de bord. Ensuite, tous trois, à l'unisson et dans une magnifique cacophonie des sons, ils ont déclamé et dit le manifeste des “Anartistes”. Les comédiens ont repris les mots de l'écrivain, se les ont appropriés et offerts à une assistance attentive et troublée par tant de clairvoyance, de clarté et violence. Une violence exprimée, linguistique en premier lieu, notamment avec l'utilisation de sobriquets et d'arabe dialectal ; une violence thématique dans le propos de l'auteur qui a raconté la descente aux enfers d'un jeune pétri de talent et plein de complexes. Le propos de l'auteur, largement politique, et ses intentions artistiques ont été respectés dans cette lecture. Car Mustapha Benfodil s'interroge dans Archéologie du chaos (amoureux) sur le pourquoi de la littérature et sur la dimension autobiographique dans la vraisemblance, dans le travail romanesque. Et afin de parvenir à des réponses, il a eu recours aux clins d'œil artistiques, notamment à Kateb Yacine qu'il considère comme un auteur majeur de la littérature algérienne, ayant complexé par Nedjma toutes les plumes en herbe. Il évoque également, clairement ou indirectement, Sadek Aïssat, Issiakhem, Jean Sénac, Cicéron, Michel Foucault et même Albert Camus. En fait, Archéologie du chaos (amoureux) aurait pu s'intituler archéologie du chaos de l'écriture, car les voies de l'écriture sont impénétrables, et il est quasiment impossible d'expliquer un succès artistique. Pourquoi telle œuvre est-elle un best-seller et telle autre un flop ? Qui peut répondre à cette interrogation ? Mais la véritable problématique de l'écriture est l'explication de l'humanité dans sa complexité, avec ses gloires, ses réussites, ses échecs, ses vicissitudes, ses équivoques et sa capacité à changer son destin. La lecture dispensée par les comédiens a ouvert des perspectives, de nouvelles voies, tout en permettant d'appréhender d'une nouvelle manière l'œuvre plurielle de Mustapha Benfodil.