Où commence, où finit un roman ? Avec Archéologie du chaos (amoureux)(1), Mustapha Benfodil, en bon « rêveurévolutionnaire », nous encourage à lire son roman avec le corps, avec les mains, les bras, les jambes, les yeux, la bouche, en se laissant porter par un mouvement de marche, en se laissant envelopper, frôler par des gestes, des contacts, en clignant des paupières devant les lumières d'Alger, la nuit, en prêtant l'oreille au crissement des pneus sur l'asphalte mouillé, au froissement des papiers, surtout les papiers. En effet, Mustapha Benfodil veut « séparer le roman papier du roman histoire, du roman tract, du roman objet, du roman écriture, du roman verbe, du roman fable, du roman marché, du roman Je, du roman marketing, du roman vomissure, du roman formaté, du roman inconscient (de l'humanité). (p 118). De quoi « déconstruire l'ordre narratif national » (p 118) ! Archéologie du chaos (amoureux) est une véritable « grotte d'Ali Baba » où les rêves, les révolutions, les glissements (érotiques et… politiques), les pulsations (amoureuses et… sociales), les regards (des jeunes algériens surtout) sont palpables. La réalité politique (de l'Algérie) la plus prégnante se manifeste à tout moment, aussi bien dans l'évocation de cette « cave » (les révolutionnaires algériens sont-ils tombés dans une cave ?) que dans la peinture de tout un peuple en mouvement, ou dans la problématique, posée avec tant de vérité et de force, des règlements de compte des groupes révolutionnaires (ou rêveurévolutionnaires, d'après M. Benfodil). L'originalité de Archéologie du chaos (amoureux) réside dans le hiatus — on pourrait presque dire la béance — qui existe entre ce que le titre insinue et ce que le livre tient. Le lecteur croit à une histoire d'amour ratée. L'auteur, tout en racontant des « histoires d'amour », nous surprend par un désir d'utiliser « par jeu » (ou Je) tout un arsenal de violence, de fantasmes sexuels, de démence juvénile, de rêves, de cauchemars et de… déceptions de la jeunesse algérienne. A croire que « les révolutions sont des plantes sauvages foncièrement incompatibles, en définitive, avec nos conditions climatiques », (p 101). Mariage, la révolution ? En lisant le roman de Mustapha Benfodil (nom de cette lecture naïve qu'il récuse, mais d'une lecture très « idéologique »), on découvre que le jeu et le fantasme n'y sont pas exclusifs d'une « représentation », en définitive beaucoup plus appuyée, lucide et réaliste qu'on ne le pense, de tout un sous-sol (un underground) mental dont la signification politique, en ce qui concerne le fonctionnement d'une certaine frange de notre jeunesse. Paumée, notre jeunesse ? Le narrateur de Benfodil, écrivain, lecteur assidu de philosophie, admirateur de Cioran, de Hegel, de Kant et de Michel Foucault n'est-il pas un jeune de cette Algérie historique, révolutionnaire et idole de liberté ? Ce narrateur-écrivain qui « avait soulevé trop de couvercles, avalé trop de couleuvres, sorti trop de cadavres des placards… » devait rester un exemple pour cette jeunesse. « Son cœur s'est arrêté sur une virgule. » M. Benfodil nous a donné ici un beau rêve. Un roman où les styles se côtoient, où les phrases s'enchevêtrent dans des méandres métaphoriques dignes de la plume d'un maître. 1) Editions Barzakh, Alger