Au matin du 19 juin 1956, dans la cour de la prison Barberousse, à Alger, le couperet de la guillotine tombe pour la troisième fois sur le cou de Ahmed Zabana, avait confié le chahid cheikh Tahar Méziani à sa femme. La tête du révolutionnaire ne cède pas complètement pour autant… Elle adhère encore au corps déjà largement mutilé par la torture, avant d'être sauvagement arrachée par le bourreau pour être jetée dans la corbeille. Ce témoignage rapporté par la femme de l'imam, présente à la cérémonie organisée jeudi dernier par l'Association nationale des condamnés à mort, propose un éclairage édifiant sur la nature abominable de l'impérialisme français. Il a le mérite de battre en brèche les déclarations de quelques esprits chagrins qui continuent à relayer les aveux du bourreau de Zabana, de Ferradj et de bien d'autres militants de la cause nationale en soutenant que le couperet de plus de 70 kg, lancé d'une hauteur de 3,5 mètres, n'a fonctionné qu'une seule fois et que la tête de Zabana avait roulé par terre... Mustapha Boudina, le président de l'Association nationale des condamnés à mort, a eu justement, à l'occasion de cette cérémonie émouvante, dédiée à ceux qui ont été emportés par la bestialité de la caste coloniale, le mérite singulier de stigmatiser certaines publications donnant dans l'approximation et la falsification de l'histoire. C'est, à juste titre, que Mohamed Harbi avait déclaré un jour que la production historique, idéologique et sociologique relative au mouvement national est, à bien des égards, une anthologie de la falsification et de la dissimulation. Des pans entiers de l'histoire ont été effacés ou voués au silence alors que militants et mouvements politiques ne sont pas appréciés en fonction de la place qu'ils ont occupée, mais en fonction de ce qu'ils sont devenus : “Le remodelage du passé à l'image du présent devient alors chose courante.” Sont-ces raisons qui ont poussé, en novembre 1974, Mohamed Boudiaf à sortir de sa réserve pour vouer aux gémonies ceux-là mêmes qui ont écrit et continuent de le faire en déformant, par intérêt ou par ignorance, les faits, en attribuant à des gens des rôles qu'ils n'ont pas joués, idéalisant certaines situations et passant d'autres sous silence, refaisant l'histoire après coup ? Rejoignant en cela le président Benyoucef Benkhedda, Mustapha Boudina n'hésite pas à reconnaître que l'écriture de l'histoire peut donner lieu à des déformations et des falsifications qui, à force de se répéter sans essuyer le moindre démenti, finissent par s'ériger en vérité officielle. Le sociologue Kamel Bouguessa conforte ce constat en faisant remarquer que les attitudes de certains chercheurs et celles de témoins oculaires convergent pour alourdir ce climat. Au cours des enquêtes et des recueils de témoignages réalisés par ses soins, les réactions d'un certain nombre de militants et de dirigeants nationalistes ont bien montré l'importance des discontinuités et des silences qu'ils ont opposés à ses questions. La réponse à un tel questionnement est aisé, surtout lorsque l'un des principaux artisans de la Révolution nationale du 1er Novembre 1954, Mohammed Boudiaf en l'occurrence, faisait remarquer, non sans pertinence, que le résultat le plus clair de ces manipulations est d'entraîner une méconnaissance d'un passé pourtant récent chez les millions de jeunes Algériens qui n'ont pas vécu cette période et qui sont pourtant avides d'en connaître les moindres détails. A. M. [email protected]