La présidente intérimaire du Kirghizstan, Rosa Otounbaïeva a fait une visite éclair à Och, épicentre des violences interethniques des derniers jours. Accueillie par une foule en colère, l'ex-diplomate a cherché à calmer les esprits, qui appellent notamment à la ségrégation raciale. Le pays est sous état d'urgence: des violences entre les Kirghiz et la minorité ouzbèke ont fait 200 morts depuis le début du mois. Des dizaines de milliers de personnes ont fui le pays, de peur que le conflit ne s'aggrave et dégénère en guerre civile. L'instabilité politique du pays est grande depuis le soulèvement meurtrier qui a poussé à l'exil l'ex-président Bakiev, un autocrate venu par la voie des urnes. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a demandé à Genève au gouvernement intérimaire de mener une enquête exhaustive et transparente sur ces violences commises en avril lors du renversement du régime de Bakiev (87 morts) et les récentes qui ont un caractère interethniques. La résolution a été proposée par les Etats-Unis. Otounbaïeva, dont le mandat ne devait durer que six mois, mais en raison des troubles qui enflamment le pays depuis, qui a été prolongé jusqu'à décembre 2011, a été en poste à Washington en qualité d'ambassadeur. À Och, deuxième ville du pays, kirghiz et ouzbeks s'accusent mutuellement d'avoir été à la source des violences dont le bilan est très partiel, à en croire le quotidien russe Kommersant qui parle de 2 000 morts en dix jours d'échauffourées. Et dans ce contexte, aucune puissance étrangère ne semble vouloir intervenir. Pourtant, ce petit Etat d'Asie centrale est au centre de l'attention de la communauté internationale. La Russie est prudente : pas question d'envoyer une force de maintien de la paix dans l'ancienne République soviétique du Kirghizstan. La décision a été annoncée jeudi au nom de l'ODKB, une alliance militaire menée par la Russie et réunissant plusieurs pays de l'ex-URSS. Le fiasco afghan (1979-1989) est dans l'esprit de Poutine et de Medvedev. Mais aussi, plus récemment, l'intervention russe en Géorgie, pendant l'été 2008, qui n'a pas été vue d'un bon œil par Washington et Bruxelles. Et si Moscou se décidait à intervenir, elle ne le ferait pas seule, elle en parlerait aux Américains et aux Chinois. Les Américains, restés eux aussi très discrets sur les événements au Kirghizstan, sont en réalité extrêmement vigilants sur l'évolution de cette situation. Sur le sol kirghiz, se trouve en effet une de leurs principales bases arrière pour les opérations en Afghanistan. Pas d'intervention donc de Washington. Vendredi, le sous-secrétaire d'Etat chargé de l'Asie Centrale et du Sud, Robert Blake, a plaidé pour une enquête indépendante sur les violences au Kirghizstan, lors d'une visite en Ouzbékistan. Ce qui fait dire à des observateurs que Washington et Moscou sont pratiquement sur la même longueur d'onde. Et puis les Russes ne souhaitent pas la perte des Américains en Afghanistan, qui les laisserait en première ligne, situation qu'ils n'auraient pas les moyens de gérer. Le Kirghizstan n'est pas au cœur des intérêts diplomatiques chinois, pas encore. Mais il y a une montée en puissance de la Chine dans ce pays pauvre mais riche en pétrole. Les Chinois sont de plus en plus présents commercialement, notamment dans des domaines comme le secteur énergétique. Une présence qui se traduit notamment par les évacuations intervenues depuis le début des violences : les ressortissants Chinois ont été, et de loin, les plus nombreux à être rapatriés (1 500). Par contre, c'est le voisin immédiat du Kirghizstan qui est le plus inquiété et le plus observé par Moscou et Washington. Des dizaines de milliers de réfugiés se massent à la frontière avec l'Ouzbékistan, l'Onu estime à un demi-million leur nombre. La situation est explosive, et le souvenir de la répression d'Andijan, en 2005, est dans tous les esprits. Dans cette ville de l'ouest de l'Ouzbékistan, à la frontière avec le Kirghizstan, une tentative d'insurrection avait été réprimée dans le sang, la Croix-Rouge faisant état de plusieurs centaines de morts. La crainte islamiste: en filigrane, c'est la principale crainte du monde occidental : un effondrement de l'Etat kirghiz qui laisserait le champ libre aux islamistes radicaux. Il peut devenir un deuxième Waziristân, cette zone tribale du Pakistan qui sert de base arrière aux talibans et à Al-Qaïda, d'autant que plusieurs soubresauts récents dans la région indiquent qu'elle n'est pas à l'abri d'une telle menace. Entre 1995 et 1997, une guerre civile a ravagé le Tadjikistan voisin. Des revendications islamistes étaient alors déjà entendues. Le début des années 2000 a aussi vu la défaite du mouvement islamiste d'Ouzbékistan, un groupe radical qui a finalement trouvé refuge au Pakistan.