Quatre journalistes de Liberté seront déférés aujourd'hui devant le parquet et six autres sont convoqués par la police judiciaire. Ce tir groupé, qui plonge toute une rédaction dans des procédures interminables, vise probablement à entamer physiquement et moralement le personnel rédactionnel du journal. Le harcèlement judiciaire prend le relais de la suspension “commerciale”. Les convocations se multiplient et les auditions s'allongent. Le pouvoir compte probablement, par une espèce d'effet de masse des poursuites et par un processus d'usure, perturber le souffle du journal. Il est à prévoir que l'offensive se généralise à la plupart des titres qui ont été suspendus. Et l'épreuve qui attend la presse indépendante se prolongera aussi longtemps que la société et les institutions concernées laisseront faire. Il fallait que la dérive soit à ce point grave pour que le président de l'Assemblée populaire nationale réserve un passage significatif à la pression subie par les journaux, hier, dans son discours inaugural de la session parlementaire et pour que la première action de cette session fût de déposer une question orale à la ministre de la Communication et d'initier une commission d'enquête sur le sujet. Malheureusement, l'état de la nation fait que l'Assemblée législative ne détient, dans les faits, que le simple pouvoir d'interpellation. Déjà que la douzaine d'ordonnances qu'elle trouve sur son bureau, après l'intersession estivale, prouve qu'elle est contestée dans sa prérogative même. Mais, il est important qu'une institution qui symbolise la démocratie, même si elle n'en a pas encore les attributs, se rende compte de la dangerosité de la manœuvre qui se trame contre la liberté de presse. Et surtout qu'elle considère que le droit d'informer est un acquis de la société qu'il convient de protéger. Au vu de la variété des épreuves imposées ces derniers jours aussi bien aux éditeurs qu'aux journalistes, il est évident qu'il y a là un cas de tentative de liquidation de la presse indépendante. Il y a une forte volonté politique de mise au pas, sinon de mise à mort, d'une partie de la presse jugée subversive par le pouvoir. Si une mobilisation à la mesure de l'enjeu ne s'exprime pas, à l'image d'une Assemblée législative qui semble décidée à assumer ses responsabilités dans cette tentative de musellement des journaux, il y a lieu de croire que l'irréparable sera accompli. Et qu'il ne restera à la profession qu'à s'aligner sur le discours unique d'un pouvoir qui se veut irréprochable. La Télévision étant toujours soumise au diktat du monopole, la société perdra alors la dernière fenêtre de liberté de dire et de penser. Jamais la liberté de presse n'a été aussi immédiatement et sérieusement menacée. Il est bon que chacun le sache pour que, ce jour-là, il n'y ait aucune excuse pour ceux qui n'auront pas pris leurs responsabilités. M. H.