Ramadhan, nom unique, qui marque un rapport singulier au Divin, au temps et à l'au-delà, devrait être le moment de l'examen de conscience pour toute société musulmane digne de ce nom. Tout peuple musulman a le devoir de réexaminer les significations qu'il se donne. Est-on à la hauteur des aspirations des nouvelles générations ? Quelles interprétations donner à la vie pour notre temps ? Comment se souvenir de nos valeurs pour se projeter dans l'avenir, sans tomber dans le passéisme ? Comment apprendre à vivre, réinventer et penser la civilisation, comme l'ont su avant nous Ibn Arabi, Ibn Rochd et Ibn Khaldoun ? Nous sommes pris entre deux outrances imbriquées. Premièrement, après mille ans d'une grandeur sans équivalent, le monde musulman décadent est en difficulté depuis cinq siècles pour produire de l'émancipation et de l'indépendance, à l'exception du temps de la lutte anticoloniale. Les solutions proposées restent insuffisantes par rapport aux besoins. Deuxièmement, malgré des progrès scientifiques prodigieux, l'hégémonie du monde occidental est marquée par la marginalisation des valeurs spirituelles, le libéralisme sauvage et la politique du deux poids, deux mesures. Les périls, les manipulations et les incertitudes sont croissants, dans une crise systémique du savoir. Chez le premier, l'obscurantisme, la violence aveugle, l'instrumentalisation de la religion refuge nuisent gravement à l'image du troisième rameau monothéiste, qui a le droit de viser le progrès sans perdre son âme. Chez le deuxième, l'iniquité, la déshumanisation et la désorientation sont flagrantes. Tout philosophe, sociologue, ou être de bon sens, constate que nous sommes dans une phase régressive de l'histoire de l'humanité. La crise, morale, du comportement et des valeurs, est sous-jacente à la crise économique. Comment retrouver de la civilisation qui allie authenticité et progrès ? Le monde arabo-musulman, faute de bonne gouvernance, semble incapable de soutenir la concurrence économique et technoscientifique. Le monde matériellement développé ne conjugue pas éthique et puissance, science et conscience, justice sociale et efficience. Le dialogue s'impose de lui-même dans le cadre d'une mondialisation qui nivelle et produit de la violence anarchique. Privilégier le dialogue est le maître mot de pays lucides ; mais c'est cela que des courants refusent, car le dialogue signifie traiter en égaux ceux considérés comme des inférieurs ou adversaires. Le dialogue est le contraire de la stratégie de domination. Comment ne pas dialoguer alors que la tradition et la modernité sont en crise ? Au Nord, malgré des acquis, la société du culte du veau d'or, de consommation, de la jouissance à tout prix et de la xénophobie s'éprouve en impasses. Pour la première fois, la crise n'atteint pas la périphérie mais le centre qui s'avère incapable de solution globale et poursuit sa logique mortifère. Des régimes occidentaux pratiquent la fuite en avant et la diversion en s'inventant un nouvel ennemi comme hier le juif : le citoyen de confession musulmane. Au Sud, des régimes arabo-musulmans aggravent l'état de leur pays en refusant toute forme de changement réel et d'intelligence qui permettent de mettre en œuvre le noble principe de communauté médiane. Il faut énoncer de nouvelles formes de vie, de nouvelles voies, un nouveau projet de société qui articule les trois conditions fondamentales pour réinventer de la civilisation : de la logique, de la justice et du sens. Sinon la régression obscurantiste, le cynisme et la marchandisation du monde vont mener à l'abîme. Les êtres humains revendiquent des compensations à nombre de privations. Si ne pointent pas à l'horizon, ni éducation équilibrée et société du savoir, ni participation politique, ni débats, ni critères clairs d'élévation dans la hiérarchie sociale, ni possibilité de travail, ni dignité, ni loisirs, la rébellion, la subversion, la violence sociale et la fuite seront les répliques d'interminables séismes. Il n'est ni impossible ni impensable de mettre fin au sous-développement. Il faut s'attaquer aux causes. Le poids nouveau dans les relations internationales de pays islamiques émergents et leur tentative d'allier authenticité et modernité est un signe d'espérance. L'Algérie de par son histoire, ses richesses et sa position géostratégique peut y accéder. Sans apologie, ni dénigrement, mobiliser, responsabiliser les citoyens en phase avec leur Etat de droit est le chemin porteur d'avenir, de civilisation. C'est à ce niveau que le problème se pose. Il n'y a pas de malédiction, mais des irréductibles raisons d'espérer, comme les valeurs de Novembre et le refus vivace de s'abandonner à la lassitude. Il y a des approches ouvertes et multilatérales à retrouver et des nouvelles alliances à bâtir. Jeûner c'est aussi penser, pour éveiller, anticiper et civiliser. M. C. (*) Philosophe [email protected]