Pour le président de la Fédération internationale des journalistes, “le pouvoir doit se positionner clairement sur la liberté de la presse avant les élections de 2004”. Liberté : Vous suivez très certainement les évènements concernant la presse algérienne depuis ces deux dernières semaines. Quelle lecture en faites-vous ? Aidan White : À mon avis, c'est très grave ce qui ce passe en ce moment en Algérie. Pour ma part, j'ai une très grande inquiétude pour la liberté d'expression avec les actions engagées actuellement par le pouvoir judiciaire et le gouvernement contre la presse. Je pense qu'il y a chez le pouvoir une grande division sur les questions de stratégie politique en ce moment en Algérie. Ce n'est pas normal que la presse subisse des harcèlements. Les médias doivent exprimer leurs aspirations avec toutes les forces de la nation et avoir leurs opinions et leurs positions sur les questions politiques, économiques et d'intérêt public. Il est inacceptable de faire pression de la sorte sur la presse. Ce faisant, les actions que commet actuellement le pouvoir contre la presse sont un signal sur le danger qui guette la vie démocratique en Algérie. Après les évènements de ces trois dernières semaines, où nous avons vu la suspension des publications sous prétexte de questions commerciales, il y a une très grande peur, d'autant que ce harcèlement intervient en période préélectorale, précédant de peu la présidentielle de 2004. En tous les cas, la FIJ protestera avec force contre ces actions. De notre avis, il serait plus intelligent pour le pouvoir et le gouvernement d'utiliser le dialogue avec les médias pour discuter avec eux des problèmes professionnels au lieu de les envoyer vers les commissariats et la justice, avec l'intention de les pénaliser. En ce moment en Algérie, on a besoin d'avoir un grand débat public, clair et transparent sur la vie politique nationale. Car, il y a d'importants problèmes économiques et sociaux en Algérie. Dans cette perspective, il est nécessaire d'avoir un pluralisme dans le débat public. Mais, avec ces actions que mène le pouvoir contre la presse présentement, cela renseigne qu'il ne sera pas possible d'avoir un véritable débat sur les problèmes du pays. Pour nous, c'est une véritable crise pour la démocratie en Algérie. Après le bras de fer qui a opposé les journaux aux imprimeurs et qui s'était traduit par la suspension de six titres de la presse privée, ne pensez-vous pas qu'il s'agit là d'une escalade ouvertement assumée par les pouvoirs publics ? Absolument. Il s'agit clairement d'une escalade ! J'ai à cet égard une grande inquiétude en ce sens qu'il s'agit là d'une véritable menace sur toutes les libertés démocratiques en Algérie. Que fait votre Fédération en ce moment et que compte-t-elle entreprendre dans l'avenir immédiat ? Nous discutons actuellement avec nos collègues et nos confrères en Algérie, que ce soient les éditeurs ou le Syndicat national des journalistes (SNJ) sur ce que l'on pourrait faire au niveau international pour exprimer notre position sur ces menaces contre les libertés. Nous menons également ces discussions pour déterminer le type d'actions appropriées à entreprendre. Pour ce faire, il est impératif que nous utilisions notre réseau de contact international à l'image des Nations unies, de l'Unesco, du conseil de l'Europe et de toutes les institutions internationales dans lesquelles il y a des débats sur les questions démocratiques. Je dois dire à ce propos que j'ai trouvé une unanimité dans tous mes entretiens avec les éditeurs des journaux algériens sur l'importance des menaces qui visent la vie démocratique en général et la liberté de la presse en particulier. Quatre de nos collègues de Liberté se trouvent en ce moment dans le bureau du procureur de la République, après avoir été auditionnés par la police judiciaire, il y a une semaine, alors que six journalistes sont toujours attendus dans les locaux de cette même police judiciaire. Comment interprétez-vous cet acharnement contre les journalistes de Liberté ? À mon avis, c'est une chose terrible ! Il est inadmissible d'avoir des relations entre le pouvoir et la presse via la justice. Il y a une urgence pour un débat entre les médias, le pouvoir, le gouvernement et les représentants politiques en vue de résoudre les problèmes et le conflit entre ces parties. Il est préférable pour tous d'avoir un véritable débat au lieu d'envoyer les journalistes vers la justice. Des journalistes devant le procureur, cela signifie qu'ils risquent l'emprisonnement. Quelle serait votre réaction si cela devait arriver ? Pour nous, la possibilité de voir des journalistes emprisonnés représente un véritable cauchemar pour la liberté de la presse. C'est totalement inacceptable ! La réponse de la FIJ sera très très forte à cet égard. C'est vraiment malheureux d'arriver à ce type de recul. C'est pour cela qu'il est impératif de réduire ce conflit qui oppose le pouvoir et le gouvernement à la presse par un véritable dialogue. Avez-vous essayé de prendre attache avec les représentants des pouvoirs publics, le ministère de la Communication entre autres, pour obtenir d'eux qu'ils cessent le harcèlement ? J'ai préparé pour aujourd'hui (mercredi, ndlr) une lettre à l'adresse du gouvernement et de la ministre de la Culture et de la Communication pour leur exprimer notre profonde inquiétude sur ce qui pèse comme menaces sur la liberté de la presse. Quelle sera dorénavant la position de la FIJ par rapport au discours officiel d'Alger qui vante l'attachement du pouvoir politique à la liberté de la presse ? Nous demandons expressément aux pouvoirs concernés de se positionner clairement sur la liberté de la presse et la liberté d'expression et ce, avant les élections de 2004. Il est nécessaire que le pouvoir et le gouvernement algérien disent leur adhésion à la liberté d'expression. Nous attendons des réponses ! Le discours officiel sur la liberté de la presse en particulier et sur la démocratie en général a-t-il désormais quelque chance de convaincre à l'étranger ? Il y a beaucoup de pays étrangers qui suivent avec un grand intérêt ce qui se passe actuellement en Algérie s'agissant des questions des libertés d'expression et de la presse qui sont des questions primordiales pour ces pays. Ces derniers se posent de sérieuses questions sur l'avenir des libertés démocratiques en Algérie. Si jamais il y a un changement dans la position du pouvoir par rapport à ces libertés, les relations de ces pays avec le pouvoir algérien seront revues. Le juge d'instruction vient de prononcer la liberté provisoire pour trois de nos confrères et un non-lieu pour le quatrième. Quel est votre commentaire ? Je voudrais dire que c'est une véritable situation de tristesse pour nous. J'ai eu l'occasion de venir souvent en Algérie et de constater beaucoup de problèmes et de difficultés. Mais, pour nous, ce qui se passe actuellement par rapport à la liberté de la presse est une tragédie en Algérie. Pour tous les journalistes algériens qui sont dans l'expectative, nous leur disons qu'il faut avoir du courage, la FIJ est à vos côtés et elle ne baissera pas les bras pour la liberté de la presse et les journalistes. N. M.