À la question de savoir si l'art figuratif est interdit ou toléré en Islam, il est aisé de répondre, sans la moindre hésitation, que cet art peut parfaitement s'intégrer dans l'univers de l'Islam pourvu qu'il n'oublie jamais ses propres limites. Il ne jouera qu'un rôle périphérique et ne participera pas directement à l'économie spirituelle de l'Islam. À l'effet, bien sûr, de proposer un éclairage édifiant sur deux aspects de l'aniconisme islamique. D'une part, la préservation de la dignité primordiale de l'homme dont la forme faite “à l'image d'Allah” ne sera ni imitée ni usurpée par une œuvre d'art, nécessairement limitée et unilatérale. D'autre part, rien qui puisse devenir une idole, ne serait-ce que d'une manière relative et toute provisoire, ne doit s'interposer entre l'homme et l'invisible présence d'Allah. Ce qui prime, en définitive, c'est le témoignage qu'il n'y a pas de divinité hormis Allah, il dissout toute objectivation du divin avant même qu'elle ait pu se produire. À l'évidence, cette façon de sérier la problématique est des plus judicieuses tant elle est mue par le seul souci de faire reculer les idées reçues et de réconcilier une population, quelque peu déstabilisée, avec l'art musical que certains esprits chagrins tentent de vouer aux gémonies plus particulièrement à l'occasion du mois de Ramadhan. Pourtant, c'est la mosquée et de nombreuses confréries religieuses qui auront sauvé un patrimoine musical sensiblement menacé par la crise économique et sociale vécue par notre pays il y a quelques siècles déjà. C'est ce qui explique en partie le développement des confréries religieuses, un développement qui ne se limitera pas aux seules conséquences sur la vie politique et sociale des populations. Puisqu'il contribuera à la sauvegarde et à l'enrichissement de pans importants de la tradition musicale. À partir du XVe siècle surtout, une date que choisira l'Islam maghrébin pour adopter la doctrine orthodoxe malékite tout en affichant le caractère spécifique de son identité, l'épanouissement d'un mysticisme populaire, d'abord dans les campagnes avant de se répandre dans toute l'Afrique du Nord sous la forme de confréries religieuses dont quelques-unes virent leur popularité embrasser tout le pays et se transformer en un lieu de pouvoir incontournable. Et il n'y a rien d'étonnant surtout si nous nous référons utilement à Jalâl ud-Dîn Rûmi, fondateur au XIIIe siècle de la confrérie des Mawlavîs, ou derviches tourneurs, qui disait : “Dans les cadences de la musique est caché un secret ; si je le révélais, il bouleverserait le monde.” Ou à ce qu'il soulignait un peu plus tard en parlant du rebab : “Ce n'est que corde sèche, bois sec, peau sèche, mais il en sort la voix du Bien-Aimé.” La même source nous apprend que c'est au pacte prééternel entre Dieu et la race adamique que les soufis rattachent la signification du sama'. Ce qui apporte un éclairage certain à la réponse faite par Junayd al-Baghdâdî, le seigneur des soufis, à la question de savoir pourquoi les soufis s'agitaient en extase pendant l'audition de la musique : “Quand Dieu a interrogé les germes, lors du pacte primordial, dans les reins d'Adam, en leur disant — Ne suis-je point votre Seigneur ? — une douceur s'est implantée dans les âmes.” Quand elles entendent la musique, ce souvenir se réveille et les agite, est-il souligné dans Tabaqât al-Kubrâ. C'est donc en tant que moyen de connaissance illuminative, parce que de “reconnaissance” au sens platonicien, que se justifie, de l'avis même de Eva de Vitray-Meyerovitch, le concert spirituel : “Le but doit toujours être, non pas le délice d'écouter de suaves mélodies, mais de saisir une allusion divine, comme le dit si bien Hallâj ; la musique est éveil de l'âme, elle abolit la durée, car elle la fait se souvenir.” A. M. [email protected]