Comment être musulman et appartenir à son temps et à son milieu ? Cette question très pertinente par son actualité et son importance ne concerne pas seulement les musulmans d'Europe et des Amériques, mais aussi les musulmans du reste du monde. Les sociétés changent et évoluent et les musulmans du XXIe siècle ne sont pas les musulmans du VIIe siècle. L'idée de reformer certaines lois pour avoir une juridiction qui s'accorde avec la réalité est admise par une grande majorité des musulmans. Au XVIIIe siècle, l'Indo-Pakistanais, Shah Wali Allah Dihlawi, mort en 1762, disait déjà que “les musulmans ne peuvent pas agir comme un adulte qui prend un médicament prescrit à un enfant ou qui utilise un médicament d'hier pour une maladie d'aujourd'hui”. Il était convaincu de la philosophie progressiste de l'Islam. Mais aucune évolution législative ne peut se faire avant de reconnaître d'abord la mutation sociale telle qu'elle est, sans la masquer ni la maquiller. C'est le motif de la réflexion et la base de la recherche juridique scientifique. Parmi les lois juridiques qui ne s'accordent plus avec la réalité sociale de beaucoup de pays musulmans, la loi sur les inégalités dans le partage successoral. Pour la justifier, les savants utilisent toujours le même argument : la femme n'est pas financièrement responsable, elle a le droit de garder son argent pour elle toute seule. L'homme est le seul responsable financier de la famille. Dans notre pays et beaucoup d'autres dans le monde, cette justification semble pourtant appartenir à un autre âge. Dans le nouveau contexte socioéconomique, la femme n'est plus à la marge du monde du travail. Dans les villes et les campagnes, elle se bat, seule ou aux côtés de son mari, pour subvenir aux besoins de sa famille. L'image de la femme, surtout de la mère, qui ne dépense son argent que pour satisfaire ses besoins personnels, est désormais du domaine de l'imaginaire et de l'irréel. Ce nouveau contexte pousse l'homme, qui veut de plus en plus ne s'occuper que de sa petite famille, à considérer ce devoir financier comme une contrainte, voire une injustice. Cela oblige la femme, fille ou sœur, à se prendre en charge et à prendre ses enfants en charge en cas de divorce ou de veuvage. Le législateur algérien, imprégné de ce nouveau contexte, reconnaît dans l'article 77 du code de la famille de 2005 la responsabilité financière de la femme envers ses enfants et envers ses parents. Dans l'article 76, il déclare qu'en cas d'incapacité du père, cette responsabilité incombe à la mère. Aucune mention de la responsabilité de l'oncle envers les enfants de sa sœur, ni du grand- père envers les enfants de sa fille. Cependant, ce même code maintient les inégalités successorales justifiées toujours par la non-responsabilité financière de la femme. En outre, la participation financière de la femme n'est pas un phénomène spécifique des sociétés modernes. Un hadith très souvent cité en est la preuve. Dans ce hadith, le Prophète (Qsssl) dit : “On épouse une femme pour quatre raisons : pour son argent, pour sa classe sociale, pour sa beauté et pour sa religion ; choisis plutôt celle qui est pieuse.” D'après ce hadith, le Prophète (Qsssl), même s'il insiste sur le critère religieux, explique que les biens de la femme et sa richesse sont des critères importants dans le choix de celle-ci comme épouse. Ce que confirme Ibn el Katir qui nous rapporte les circonstances du verset du partage successoral. Selon lui, ce verset est une réponse à une plainte de la femme de Saâd Ibn El Rabia contre son beau-frère qui a pris tous les biens de son mari tué dans la bataille Ouhoud sans rien laisser à ses filles. La femme en question a dit au Prophète (qsssl) : “Personne ne les épousera si elles n'ont pas de biens.” Cela amène à poser la question suivante : si la femme ne contribue pas avec ses biens à la prise en charge de la famille, quel intérêt l'homme a-t-il à choisir une femme riche ? Epouser une femme riche ou pauvre conduit pour lui au même résultat puisqu'il ne bénéficie pas de ses biens qu'elle garde pour elle toute seule. Le Prophète (qsssl) n'aurait jamais désigné les biens de la femme comme critère de mariage si elle ne contribuait pas avec ses biens au confort de la famille. Ce qui était son propre cas avec son épouse Khadidja qui dépensait son argent pour lui. En conclusion, le partage inégal de la succession est édicté dans des versets coraniques. Si les juristes et les savants musulmans ferment les yeux pour ne pas voir la réalité, c'est dans le souci de le justifier. Ne serait-il pas plus sage de revoir notre lecture et notre compréhension humaine des textes sacrés plutôt que de nous accrocher à des justifications rattachées à des réalités fictives ou caduques juste pour nous en tenir à ce qui s'est toujours dit ? R. A. (*) Ecrivaine et philosophe