Dans le cadre de son cycle “Mille et Une News”, la librairie Socrate News a reçu, mardi dernier, le dramaturge et écrivain, Slimane Benaïssa, pour une rencontre-débat autour de sa problématique d'écriture et son rapport à la langue. Cette rencontre a été entamée par une projection d'extraits de quelques pièces emblématiques de Slimane Benaïssa, écrites en français, montées avec différentes compagnies francophones, mais jamais représentées en Algérie. Même si, chez nous, on s'est, malheureusement, arrêté à Babor Ghreq et Boualem zid el goudam, Slimane Benaïssa a construit une carrière dans l'exil, sans jamais opter pour un théâtre d'éloignement. Il a certes changé de code linguistique, mais il a toujours continué une réflexion, déjà entamée en Algérie. La première pièce qu'il a montée en France, une année après son exil, est le Conseil de discipline (1994). Traduite vers l'arabe et représentée il y a quelques semaines à la salle Atlas (Bab El-Oued), la pièce avait été confrontée à la censure lors de la tournée organisée la même année, notamment à Lancy et en Corse. “À Ajaccio, la salle était pleine et silencieuse et quand je suis descendu pour le débat, ils m'ont laissé parler pendant une heure sans réflexion”, a-t-il confié. Le dramaturge a montré à l'assistance, des extraits de les Fils de l'amertume (1996) - produite pour le festival d'Avignon et représentée 160 fois en deux ans -, Prophètes sans Dieu (1999), Mémoires à la dérive (2001) et les Confessions d'un musulman de mauvaise foi. À propos de cette dernière, Slimane Benaïssa a révélé qu'“aucun des comédiens n'est Algérien.” D'ailleurs, le rôle du terroriste dans les Fils de l'amertume est interprété par un Français. C'est une manière de dire que “la violence est universelle”. Il a, toutefois, expliqué que son travail théâtral en France s'inscrivait dans la continuité. Il a déclaré : “Il y a continuité dans la réflexion, et c'est ça vaincre l'exil”. Pour lui, l'enjeu du théâtre, c'est “être toujours dans le même espace de prise de parole”. L'auteur a également proposé un extrait de son discours lors de l'obtention, en 1993, du prix de la Société des auteurs francophones. Dans celui-ci, il explique qu'il est plurilingue (berbère, arabe, français) et que son rapport aux langues est particulier. “Me demander de tuer l'une des trois serait tuer une partie de moi-même”, a-t-il appuyé. Mais c'est à travers son discours, lors de l'obtention de son doctorat honoris causa de l'Inalco, en 2005, à la Sorbonne, qu'est montrée la relation de Slimane Benaïssa aux langues et comment il appréhende celles-ci. Lui qui appartient à un pays plurilingue. Dans son allocution, il dit : “Je me définis comme triculturel : de culture berbère, française et arabe. Ma langue est pluralité, mon lieu culturel est métissage. Ma parole en est la synthèse. Ainsi je suis le fils de l'histoire. La langue ; elle est mon alibi identitaire, celle du métis qui sait plusieurs langues et que chaque langue ignore.” En effet, et tous les linguistes du monde entier affirmeront sans la moindre hésitation que la locomotive de la culture, c'est la langue. En Algérie, plusieurs langues sont en contact, et cohabitent, parfois, difficilement. Le berbère, l'arabe dialectal, l'arabe classique et le français sont des langues qui sont en perpétuelle confrontation. Même si le statut n'est pas le même, ces langues sont mixées et utilisées, le plus souvent de manière inconsciente, de la part des locuteurs. Slimane Benaïssa adopte toutes ces langues et se considère comme un métis, qui cherche une hypothétique paix des langues. Celles-ci cohabitent harmonieusement chez le dramaturge qui déclarera plus loin : “J'ai voulu que tous mes écrits soient un effacement, une négation de la laideur. Je connais ma mémoire et ma mémoire le sait. Je connais mon histoire et mon histoire ne le sait pas.” En fait, la langue est une des valeurs de la culture, et cette dernière est un concept indissociable de l'identité. “La langue et la culture sont les deux facettes d'une même médaille”, disait Emile Benveniste.