À travers ce texte, les autorités algériennes veulent renforcer encore davantage le contrôle des investissements étrangers. Les flux et transactions transfrontalières, en raison de leur enjeu fiscal important, deviennent le centre d'intérêt des responsables en charge de la fiscalité. L'analyse émane du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre Algérie (*), qui offre aux entreprises des services juridiques et fiscaux. Pour ce cabinet conseil, le corpus juridique de contrôle des prix de transfert en vigueur serait complété par un certain nombre de nouvelles dispositions. Ainsi, la LFC prévoit d'instaurer une nouvelle obligation légale à l'égard des entreprises apparentées. Il s'agit de la constitution, à la charge des entreprises relevant de la compétence de la direction des grandes entreprises (DGE), d'une documentation justifiant les prix de transfert. Celle-ci devrait être mise à la disposition de l'Administration, en plus des déclarations prévues à l'article 161 du code des procédures fiscales (CPF). Elle (la documentation) doit être produite, selon le texte, dans un délai de 30 jours à partir de la notification, par pli recommandé avec avis d'accusé de réception, de la demande effectuée en ce sens par l'Administration. “Dès lors, il semble que la documentation ne serait transmise à l'Administration, qu'en cas de contrôle et sur requête spécifique de l'inspecteur en charge de la vérification”, note le cabinet. Selon ses analystes, le défaut de production de la documentation ou la production incomplète de celle-ci, dans le délai imparti, entraînerait la réintégration des bénéfices transférés, majorés d'une amende de 25%. “En revanche, le projet ne prévoit pas l'obligation, à la charge de l'Administration, d'adresser une mise en demeure de compléter les éléments manquants de la documentation jugée insuffisante, et, par suite, l'ouverture d'un nouveau délai de réponse”, indiquent-ils. Une documentation justifiant les prix de transfert exigée Le contenu de la documentation n'est cependant pas précisé dans la LFC 2010. Cela interviendrait, estiment ces experts, par le biais d'un arrêté du ministre des Finances qui devrait prévoir les modalités d'application de cette disposition. Ils soulignent que le texte introduit également une nouvelle procédure légale de demande de renseignements spécifique aux prix de transfert qui suppose que l'administration ait réuni “des éléments faisant présumer des transferts indirects de bénéfices” au sens des dispositions de l'article 141 bis du code des impôts directs (CID). “D'une manière pratique, il appartiendra à l'inspecteur qui s'estime, dans le cadre de la procédure contradictoire, insuffisamment renseigné sur les éléments concourant à la détermination des prix de transfert, de demander les informations et documents nécessaires”, affirment les experts du CMS Bureau Francis Lefebvre Algérie. Il peut donc demander des renseignements sur la nature des relations entrant dans les prévisions de l'article 141 bis du CID et la méthode de détermination des prix de transfert liée aux opérations industrielles, commerciales ou financières avec les entreprises situées hors d'Algérie. Le cas échéant, la demande peut concerner aussi les “contreparties consenties, les activités exercées par les entreprises situées hors d'Algérie, liées par des opérations industrielles, commerciales ou financières à l'entreprise vérifiée, ainsi que le traitement fiscal réservé à ces opérations”, relèvent ces spécialistes. Le délai de réponse ne pourrait être inférieur à 30 jours (article 19 du CPF). En cas de défaut de réponse, l'Administration serait autorisée à déterminer les produits imposables à partir d'éléments dont elle dispose et, par comparaison, avec les produits imposables des entreprises similaires. Contrôle : la flagrance fiscale instituée Le cabinet tient à préciser que le texte ne prévoit pas de procédure d'accord préalable sur les prix de transfert. Sur un autre registre, la LFC vise à instituer une procédure de “flagrance fiscale” permettant à l'Administration de prendre des mesures conservatoires et de sanctionner certains faits frauduleux, tels que l'exercice d'une activité occulte, émission de fausses factures ou de factures fictives, se rapportant à une période au cours de laquelle aucune obligation déclarative n'est encore échue. “L'objectif principal de cette mesure est de permettre à l'administration fiscale de constater un flagrant délit de fraude et d'intervenir avant que l'obligation déclarative ne soit échue, de manière à éviter aux contribuables d'organiser leur insolvabilité”, commentent les analystes du CMS. Pour eux, la procédure de “flagrance fiscale” serait strictement encadrée. Sa mise en œuvre serait subordonnée à l'existence d'indices suffisants. Par ailleurs, la LFC 2010 envisage de modifier les dispositions de l'ordonnance n°01-03 du 20 août 2001, modifiée et complétée, relative au développement de l'investissement, prévoyant l'exonération des investissements dans le cadre du régime général de la taxe sur l'activité professionnelle et de l'impôt sur les bénéfices des sociétés au cours de la phase d'exploitation (TAP et IBS). Il est mentionné aussi que les investissements implantés dans les localités éligibles au Fonds spécial du Sud et des Hauts-Plateaux sont “dispensés de la condition de création de 100 emplois au démarrage, pour bénéficier d'une durée d'exemption fiscale étendue à 5 ans”. Une taxe sur les superprofits hors hydrocarbures Mieux, par exception à l'obligation édictée par la LFC 2009 de n'importer que des biens d'équipement neufs, le projet autorise le dédouanement pour la mise à consommation des chaînes de production rénovées. Il s'agit des chaînes de production des usines complètes. “Cette mesure ne pouvant être mise en œuvre que par une dérogation exceptionnelle du ministre chargé de l'investissement, la conformité des importations à la notion de chaîne de production serait laissée, a priori, à sa discrétion”, avouent les spécialistes du bureau. L'autre mesure consacrée dans la LFC pour 2010 a trait à l'institution d'un prélèvement applicable aux sociétés étrangères d'égal montant à celui pratiqué par l'Etat étranger aux entreprises algériennes. Par principe de réciprocité, l'Algérie compte instituer un prélèvement d'un montant égal à celui qui est appliqué aux entreprises algériennes implantées dans les pays appliquant une telle décision. Sont, toutefois, exclues de ce prélèvement les sociétés créées en partenariat avec des investisseurs étrangers et celles qui seraient concernées par des dispositions législatives ou conventionnelles contraires. Les modalités d'application de cette mesure devraient être précisées dans un arrêté que promulguera le ministre des Finances. L'Etat envisage également d'instituer une taxe forfaitaire sur les superprofits réalisés dans des conjonctures particulières, hors secteur des hydrocarbures. Cette taxe serait assise sur les marges exceptionnelles par application d'un taux variant de 30% à 80%. “Elle serait a priori applicable lorsque le profit réalisé dépasse les seuils de rentabilité d'après les usages dans le secteur d'activité ou dans la filière”, précisent les conseillers du CMS. (*) Francis Lefebvre membre de CMS, regroupement de 9 grands cabinets d'avocats européens indépendants offrant aux entreprises un éventail complet de services juridiques et fiscaux en Europe et dans le reste du monde.