Cette mesure, en apparence anodine, éveille les soupçons de l'ONM qui se pose des questions sur ses non-dits politico-historiques. Le ministre de l'enseignement supérieur a véritablement mis les pieds dans le plat en prenant une décision de procéder au changement de dénomination des universités d'Alger. Trois décrets exécutifs signés par le Premier ministre portant “changement de la dénomination de l'université d'Alger” viennent d'être publiés dans le journal officiel du 14 juillet 2010. En vertu des ces décrets, la faculté d'Alger devient “université d'Alger 1”, la faculté des sciences humaines et sociales de Bouzaréah devient “université d'Alger 2” et celle de Dély-Ibrahim “université d'Alger 3”. Ce changement de dénomination, auquel Rachid Harraoubia a fini par accéder, est en fait une revendication des étudiants. Ces derniers considèrent qu'un diplôme aurait plus de valeur et de reconnaissance à l'étranger en portant l'entête de l'université d'Alger, qui garde tout de même un certain prestige. Pour nos partenaires étrangers, selon les étudiants, l'université de Bouzaréah, Birkhadem ou tataouine-les-bains, ça ne veut rien dire. Il y a donc, a priori, un souci de pragmatisme à la base de cette décision qui met, du coup, nos universités un peu à la mode française avec des appellations comme “Paris 1” “Paris 2”. Sauf que dans le cas de l'université d'Alger, il y a un télescopage entre pragmatisme et histoire. Pour la simple, mais bonne raison que cette université porte le nom d'une personnalité historique et pas des moindres, en l'occurrence Benyoucef Ben Khedda, le 2e président du GPRA. Si d'aventure la plaque portant son nom au fronton de la “fac” d'Alger venait à être retirée, le geste n'échappera pas à des interprétations politiques dans ce contexte où l'histoire de la révolution algérienne est au cœur du débat politique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la puissante organisation des moudjahidine, à travers son bureau d'Alger, vient d'écrire une lettre au président Bouteflika qui, soit dit en passant, avait présidé il y a quelques années, à l'occasion de la journée de l'étudiant, célébrée chaque 19 mai, une cérémonie officielle de baptisation de l'université d'Alger du nom de Benyoucef Ben Khedda. Dans cette lettre, l'ONM d'Alger fait part de son émotion tout en s'interrogeant sur les motifs de la démarche. “Nous avons l'honneur et le devoir de vous faire part de l'émotion et des réactions qu'a suscitées parmi les moudjahidine la publication au journal officiel n°44 du 21 juillet 2010 du décret exécutif portant changement de dénomination de l'université d'Alger”, écrivent l'ONM d'Alger et l'Association historique et culturelle du 11 décembre 1960. Pour ces deux associations, il ne s'agit ni plus ni moins qu'“en fait et en droit à supprimer purement et simplement la baptisation de cette université au nom du défunt et regretté Benyoucef Ben Khedda que vous avez personnellement présidée”. Les signataires de la lettre tentent de mettre en porte-à-faux la démarche du ministère de l'enseignement supérieur avec le président de la république en soulignant que “cette mesure, dont le prétexte et le motif ne sont pas indiqués, ignore votre décision qui vous honorait et qui a d'ailleurs reçu une application officielle et publique durant plusieurs années”. Est-ce que la décision a eu l'approbation préalable du président ? La chose reste à vérifier pour les auteurs de la lettre, à moins qu'il ne s'agisse, disent-ils, que “d'une simple clause de style”. En tout état de cause, cette mesure est jugée “discriminatoire” au sens où la débaptisation n'a touché aucune autre université portant un nom d'une personnalité historique. “L'histoire jugera en fonction du passé révolutionnaire et du comportement personnel et politique de ce grand patriote qui a été de tous les combats pour la libération du peuple algérien et qui a toujours placé l'intérêt du pays au-dessus de toute considération ou ambition”, concluent les auteurs de la lettre. Ce qui nous amène, par ailleurs, à se demander si le ministre de l'enseignement supérieur a agi sans mesurer la portée politique de la décision ou bien il y a une volonté quelque part d'orchestrer une seconde mort de Benyoucef Ben Khedda.