La démission du Premier ministre Mahmoud Abbas met à dure épreuve la stratégie américaine au Proche-Orient et montre ses limites face aux conflits internes du camp palestinien et à l'escalade de la violence, soulignent des experts américains. La Maison-Blanche a assuré samedi vouloir garder le cap de la "feuille de route", le plan de paix international porté à bout de bras par les Etats-Unis, et a rappelé l'importance qu'elle attachait au poste de Premier ministre pour mener des réformes en profondeur au sein du camp palestinien. Mais la perspective de voir Mahmoud Abbas, interlocuteur privilégié de Washington au sein du camp palestinien, partir ou rester, affaibli alors que la violence avec Israël s'aggrave, amène des spécialistes du Proche-Orient à s'interroger sur la stratégie américaine. Cette démission est "clairement, et en premier lieu, un coup pour la politique palestinienne", mais elle montre aussi la limite d'une politique de mise à l'écart à tout prix de Yasser Arafat, estime Judith Kipper, membre du Council on Foreign Relations, un institut indépendant. "Déclarer que, par principe, on ne traitera pas avec Arafat, alors qu'il reste un symbole du nationalisme palestinien et garde encore beaucoup de pouvoirs, est une erreur", affirme-t-elle. Sans avoir à le recevoir à la Maison- Blanche ou au département d'Etat, Washington aurait pu garder le contact avec le président palestinien par le biais d'émissaires discrets afin de "conserver une porte ouverte si nécessaire", ajoute-t-elle. Pour Aaron Miller, ancien négociateur américain au Proche-Orient, "la question d'avoir un interlocuteur chez les Palestiniens est cruciale, et la démission de Mahmoud Abbas montre dans quel mauvais état se trouve le camp palestinien". Mais Washington manque, de son côté, d'un représentant politique de très haut niveau pour maintenir une pression constante sur les deux parties, a estimé sur la chaîne de télévision CNN cet adjoint de Dennis Ross, un ancien pilier des négociations au Proche-Orient du temps des présidents Bush père et Bill Clinton. "Les Américains doivent jouer un rôle plus intensif au travers d'une diplomatie sérieuse et de la nomination d'un émissaire de haut niveau, aux forts pouvoirs politiques. Nous devons changer le niveau et le caractère de notre engagement", a-t-il estimé. Washington a nommé en juin l'ambassadeur John Wolf, un diplomate inconnu du grand public et sans expérience particulière du Proche-Orient, pour suivre l'évolution du plan de paix avec les Israéliens et les Palestiniens, sans lui donner des pouvoirs aussi étendus que ceux qu'avait autrefois M. Ross, ou d'autres émissaires américains. Peu avant la démission de Mahmoud Abbas, un autre vétéran de la politique américaine au Proche-Orient, Martin Indyk, avait, lui aussi, dénoncé les insuffisances de la politique de l'administration Bush dans le dossier israélo-palestinien. Pour M. Indyk, qui fut ambassadeur en Israël et secrétaire d'Etat adjoint chargé du Proche-Orient sous le démocrate Bill Clinton, l'Administration républicaine Bush n'a pas fait grand-chose pour enrayer la dégradation de la situation depuis des visites séparées à la Maison-Blanche, en juillet, de Mahmoud Abbas et de son homologue israélien Ariel Sharon. "Rien n'a été fait à la suite de ces visites, qui n'ont servi qu'à faire des photos de famille. Il n'y a eu aucun engagement supplémentaire américain, aucune impulsion", a-t-il déclaré mercredi lors d'un colloque de l'Institut indépendant Brookings. Washington "n'a pas réussi à faire faire aux deux parties les petits pas réciproques indispensables pour briser le cercle vicieux" de la violence, a-t-il estimé.