Dans ce dernier article du mois béni de Ramadhan, je reviens sur la problématique de l'interprétation des textes sacrés avec deux questions : L'interprétation littérale des textes qui reflète “naql”, objectivement, le sens exact des textes, est-elle possible ? Les musulmans du XXIe siècle peuvent-ils, pour comprendre le Livre sacré, s'appuyer uniquement sur l'interprétation d'hommes qui ont vécu dans des temps si lointains ? J'aimerais, quand je lis les textes sacrés du Coran, pouvoir séparer ma langue de ma pensée afin de lire les mots et les versets sans m'occuper ni m'inquiéter du sens que je laisserai préciser à nos savants exégètes, “ceux qui sont enracinés dans la connaissance”. J'aimerais obéir ainsi à ceux qui disent que seuls les savants ont le droit de commenter les textes. Ce que je n'ai jamais réussi à faire car je n'ai jamais pu m'empêcher d'utiliser le degré d'intelligence et la pensée dont Dieu m'a fait don pour chercher le sens des versets et essayer de comprendre le Livre le plus important et le plus significatif dans notre vie. Comme si ma pensée me désobéissait et comme si ce travail de l'entendement se déclenchait en moi en dehors de ma volonté. Car le plaisir de lire la parole de Dieu et de se prosterner devant Lui ne se réalise qu'avec ce lien moral entre la pensée et les textes. J'aimerais pouvoir aussi me laisser guider vers le sens des textes sacrés expliqué dans les livres d'exégètes sans jamais me poser aucune question, ne jamais ressentir le moindre doute ni le moindre esprit critique. Ce que je n'ai jamais réussi aussi à faire car je n'ai jamais pu m'empêcher de penser que les savants, même s'ils savent plus que les autres, ne sont que des êtres humains. Ils ne peuvent être parfaits et leur savoir ne peut être absolu pour la simple raison que seul Dieu, Le seul être absolu, est parfait. Aussi, quand je me réfère aux livres des exégètes, je ne trouve pas souvent les réponses à mes questions, comme s'ils ne les avaient pas posées ou en avaient posé d'autres que moi. Et je ne trouve pas non plus chez tous les exégètes les mêmes interprétations. Je voudrais revenir au verset 11 de la sourate “Les femmes” : “De vos ascendants ou de vos descendants, vous ne savez pas qui est plus près de vous en utilité”, et le prendre comme exemple. Ce verset est la suite du verset 11 de la sourate “Les femmes” où la part de l'héritage de la femme a été définie à la moitié de celle d'un homme. Pour les femmes et les hommes contemporains, soucieux du problème des inégalités successorales alors que la responsabilité financière de la femme envers les siens devient de plus en plus évidente et lourde pour elle, ce verset peut être une solution pour une égalité successorale entre les hommes et les femmes. Mais rien de ceci n'est mentionné chez les exégètes qui se sont plutôt demandé s'il s'agissait de l'utilité dans ce monde ici-bas ou dans l'au-delà. D'autres ne parlent que de l'utilité du père ou du fils sans aucun mot pour la mère et la fille. Il est clair qu'un commentateur qui n'a jamais eu dans son champ de perception l'image d'une femme assumant sa responsabilité financière envers sa famille ne peut pas se demander si ce verset ne parle pas également des femmes. L'interprétation du verset 37 de la sourate “La vache” : “Puis Adam reçut de son seigneur des paroles et Dieu agréa son repentir car c'est Lui certes qui pardonne, Lui Le Miséricordieux”, peut être un autre exemple de la subjectivité exégétique. À l'exception de quelques-uns comme El-Kourtouby, mort en 1293, El-Thaalibi, mort vers 1507, et El-Alloussi, mort en 1896, qui se sont intéressés à la question de l'absence d'Ève dans ce verset, alors qu'elle est citée dans les versets 35 et 36 de la même sourate et les versets 19, 20, 21 et 22 de la sourate “El Araf” ; les autres commentateurs se sont plutôt intéressés à la façon dont Adam a formulé sa demande de pardon à Dieu. Dans une culture où la femme est absente, son absence dans ce verset n'a pas été un sujet de questionnement et de recherche pour la grande majorité des commentateurs. Sans doute un même verset peut-il susciter des interrogations différentes et, par conséquent, des interprétations différentes. Les longues années, voire les siècles, les distances géographiques, les situations culturelles et psychologiques y sont certainement pour beaucoup. Souvent, l'interprétation découle tout simplement d'une idée incrustée dans la pensée et la culture des commentateurs. Rares sont ceux qui arrivent à se démarquer, à poser d'autres questions pour découvrir une autre vision et une autre compréhension des textes. En conclusion, un commentaire ne peut exister indépendamment du commentateur qui est un être humain approchant les textes avec toute sa complexité psychologique, sociologique, géographique et morale. Le reflet littéral objectif du sens des textes sacrés dépourvu de toute influence du commentateur n'existe pas. C'est la raison pour laquelle interpréter le Coran selon la compréhension d'hommes qui ont vécu si loin de nous c'est condamner le Coran à rester lié à un milieu culturel, psychologique et géographique qui n'est plus le sien et condamner les musulmans, pour vivre leur religion, à appartenir à une époque et pour beaucoup même à un lieu qui ne sont plus les leurs. (*) R. A. : écrivaine et philosophe Mail : [email protected] NDLR : Nous republions ce texte car dans l'édition d'hier, il est sorti amputé de l'introduction et de la conclusion. Toutes nos excuses pour l'auteur et les lecteurs.