Mardi, procès atypique au tribunal de Aïn El-Hammam (Tizi Ouzou). La salle d'audience est pleine comme un œuf. Devant le palais de justice, un rassemblement populaire se tient sous les regards agiles des services de sécurité mobilisés en grand nombre à l'occasion. Hocine Hocini, 47 ans, et Salem Fellak, 34 ans, deux journaliers au casier judiciaire vierge, sont appelés à la barre. Sereins, ils répondent aux questions du juge avec aplomb. Au président de séance qui les a mis à l'aise au demeurant, les mis en cause racontent avec le menu détail cette satanée journée du 12 août (2e jour du mois de Ramadhan), où ils ont été surpris en train de manger dans un immeuble en chantier, mitoyen au commissariat de police. Les deux prévenus assument leur confession chrétienne. Salem a rappelé avoir été sermonné par l'adjointe du procureur lorsqu'il a été présenté au parquet. “Si tu es chrétien, tu n'as qu'à changer de pays”, lui aurait suggéré la magistrate. “La Constitution garantit la liberté de conscience”, intervient le procureur de la République, qui reproche aux prévenus d'avoir mangé dans un lieu public. “Non, nous avons mangé dans un lieu fermé, une propriété privée de surcroît”, répliquent presque en chœur Hocine et Salem. “Un immeuble en construction n'est pas une habitation”, nuance le représentant du parquet. “Nous avons mangé au 3e étage de l'immeuble, derrière une muraille en briques ; même par avion, personne ne pouvait nous voir”, ironise l'un des prévenus. Le procureur précise que la police a agi suite à une plainte de citoyens auprès du parquet. “Mais dans le dossier, il n'y a aucun élément qui confirme que des citoyens se sont plaints”, objectera l'avocat Mohamed Aït Mimoun. Se référant à l'article 114 bis 2 du code pénal, le représentant du ministère public a demandé, lors de son réquisitoire, la peine minimale, soit 3 ans de prison ferme. Pour sa part, la défense n'a pas trouvé beaucoup de peine pour déconstruire l'accusation, avant de plaider relaxe. Cinq avocats ont défilé à la barre avec à la clé de brillantes plaidoiries. Ayant pris acte de la position du procureur qui a souligné que la loi n'interdit pas le fait de rompre le jeûne, Me Aït Mimoun estime que l'infraction reprochée ne revêt aucune base légale. Il est allé jusqu'à parler de la nullité de la poursuite pénale car, selon lui, celle-ci a été menée sans un mandat de perquisition en bonne et due forme. Me Hocine parlera, lui, de violation pure et simple de la loi fondamentale du pays. Il qualifiera au passage l'article 144 bis 2 d'anticonstitutionnel. Me Rahmoun, lors de son intervention, regrette l'attitude de la police. Pour lui, le bon Dieu n'a pas besoin de procureur. “Si deux chrétiens vont être condamnés, aujourd'hui, ici par le tribunal de Aïn El-Hammam, combien de musulmans seraient condamnés aux USA et ailleurs ?”, s'interroge-t-il, affirmant que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas prouvés. Me Nacira Hadouche rappellera, elle, les conventions internationales ratifiées par l'Algérie et qui ne sont plus respectées. Plaidant en dernier, Mokrane Aït Larbi a battu en brèche l'accusation qui pèse sur ses mandants. Rappelant que les hôtels huppés d'Alger sont ouverts durant le mois de Ramadhan sans que la justice ne trouve à redire, l'ex-sénateur regrette qu'une boîte de fromage constitue ainsi une pièce à conviction pour la justice. “À ce rythme, on ne va pas tarder à embarquer des citoyens qui ne font pas la prière. On va faire comme les talibans”, dénonce Aït Larbi, qui soutient qu'aucune loi n'oblige à faire carême, a fortiori quand on est chrétien. Aux yeux de l'avocat, en matière pénale, on applique la loi et non son interprétation. Autrement dit, l'article incriminé ne s'applique pas aux faits. “Si on condamne les deux mis en cause, c'est la porte ouverte à l'intolérance”, prévient-il. À partir du moment que les faits ne constituent pas un délit, l'intervenant demande la relaxe des prévenus. Invités de nouveau à la barre, ces derniers souhaitent que “la justice soit faite.” Il est 11 heures. Le verdict est laissé en délibéré pour le 5 octobre. Soulagement dans la salle d'audience. Ayant comparu en tant que prévenus libres, Hocine et Salem restent sereins malgré tout. Dehors, les manifestants scandent à tue-tête “Pouvoir assassin”, un vieux slogan de la Kabylie militante. L'on a remarqué parmi la foule plusieurs personnalités politiques, dont des représentants du RCD, du MAK, de la LADDH, de SOS Libertés, etc. Rendez-vous est pris pour le 5 octobre, une date qui rappelle le combat sur le pavé démocratique d'Algérie.