Trois jours après les émeutes qui ont secoué la petite commune de M'sara, à l'entrée nord de la wilaya de Khenchela, les esprits semblent s'apaiser, bien que les traces de pneus brûlés et les quelques pierres que les habitants ont utilisées pour barrer la seule route qui mène au village, étaient encore là. C'est au café Tinhinane que nous avons rencontré les citoyens ainsi que les représentants du comité du village M'sara. L'annonce de trop…. Nous sommes dimanche 19 septembre, la publication d'une annonce (un appel d'offres), dans un périodique régional met le feu aux poudres. Ce chemin tant attendu et tant espéré par les habitants de M'sara et toute la région change d'itinéraire, et ne traverse plus le pays des Aïth M'loul comme c'était prévu initialement (M'sara- El Oueldja). D'une manière spontanée et libre, des citoyens (deux cents selon le comité du village) ont manifesté, en obstruant la route qui mène vers la daïra de Bouhmama. Ça et là dans le village, ils ont collé des affiches et des banderoles pour exprimer leur mécontentement. Le soir même, les habitants se sont organisés en comité de village. De jeunes étudiants, des fonctionnaires, mais aussi et surtout les anciens du village, dont certains étaient des maquisards durant la guerre de Libération, ont pris part à cette rencontre et de même la création du comité. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, dit-on. Il ressort de la discussion engagée avec les membres du comité du village, que les habitants n'en pouvaient plus. Un des membres initiateur et fondateur du comité du village, A. Smaïl nous dit sur un ton un peu emporté : “Nous sommes des citoyens, pas une réserve d'Indiens. Nos parents ont donné le meilleur d'eux-mêmes, c'est-à-dire leur vie. Je suis fils de chahid, et pour votre information, la base de vie de la wilaya I était sur le territoire de notre modeste village. Nous en avons ras-le-bol. Vous n'avez qu'à regarder autour de vous, vous constaterez que nous vivons encore à l'âge de pierre. Nous n'avons pas le gaz et nous sommes à pas moins de 200 m d'altitude, aucune infrastructure culturelle, hormis un centre réalisé depuis plus de 15 ans mais qui reste fermé, et personne ne fait rien…” En dépit de l'amertume, les propos de Smaïl semble un petit peu amuser les présents. Les clients du café Tinhinane qui ont eu vent de notre présence, ont rejoint notre table dans l'espoir de prendre la parole et appuyer les dires de leurs représentants. C'est l'absence d'un vrai centre de santé qui revient le plus souvent dans la discussion, celui qui existe est sous-équipé. Le drame reste l'absence de médecins, aussi bien spécialistes que généralistes. Quelqu'un de l'assistance nous dit que les médecins viennent quand ils veulent car ils n'ont de comptes à rendre à personne. Un autre citoyen nous raconte les péripéties des parturientes le jour de leur accouchement. Tous se rappellent le décès d'une femme du village et de son bébé dans une ambulance, non équipée, alors qu'elle était en route vers la ville de Kais, à plus de 40 kilomètres. Un étudiant en fin de cycle à l'université de Batna et membre du comité du village, sollicite la parole pour rappeler à l'assistance qu'il faut un minimum d'organisation. Il dit à ce sujet : “Nous habitons une région où se trouve l'une des plus importantes forêts d'Algérie, mais elle n'est ni protégée ni mise en valeur, ni classée, comme c'est le cas du parc de Belezma de Batna. Vous avez vu vous-même que lors des incendies, il n y a eu aucune intervention, pour la simple raison, que nous n'avons même pas une annexe de la Protection civile.” Et d'ajouter : “Et je ne parle même pas des vestiges des différentes époques de notre histoire qui sont à l'abandon. Allez voir dans quel état est l'hôpital (casemate) réalisé par les djounoud de la wilaya I, des chiens errants y ont élu domicile.” Une nouvelle page qui se tourne ? Le porte-parole du comité du village, M. A. Smaïl se veut rassurant quant à l'aboutissement des revendications des citoyens. Reprendre le tracé initial de la route (M'sara-El Oualdja) et publier l'offre dans un quotidien national, mais aussi et surtout l'abandon des autorités locales (wilaya et commune) de toute poursuite judiciaire contre les manifestants. En effet, six membres du comité du village ont été reçus mercredi par le wali de Khenchela, Beliouz Mabrouk, en présence du chef de daïra de Bouhmama, du P/APC de M'sara ainsi que des représentants de la presse locale. Le premier responsable de l'exécutif a ainsi donné des garanties quant à l'annulation de l'appel d'offres à l'origine des émeutes. Il a par ailleurs, assuré les membres du comité des villageois, qu'aucune procédure judiciaire ne sera engagée contre eux. Les déclarations du wali nous ont été confirmées par le P/APC de M'sara, Nouceur Saïd qui nous a reçus dans son bureau, en présence des délégués du comité du village. Cet engagement moral du premier responsable de la wilaya donne d'une certaine manière l'espoir de voir enfin l'autorité locale prendre en charge les soucis des habitants des zones rurales qui sont souvent déshérités. À la fin de notre rencontre avec les citoyens de M'sara, le mot de la fin revient au plus âgé du comité M. Ounassi, moudjahid, qui a tenu à préciser que le mouvement de protestation était pacifique, car aucun heurt avec les forces de l'ordre ni aucun dégât n'ont été enregistrés. “J'ai accepté d'être membre du comité, avec les jeune du village, car leur cause est la mienne. Cette route, dont on a voulu nous priver, est notre poumon. Nous avons des biens (apiculture, terre agricoles, élevages) et nous faisons la transhumance, nous faisons plus de 200 kilomètres, pour aller vers le Sud, si l'itinéraire est changé, c'est la deuxième mort de M'sara et de ses habitants”, conclut-il.