Le commun des mortels est frappé chaque jour davantage par le volume et l'intensité de nouvelles négatives, fausses, biaisées ou manipulées concernant l'Iran, le Soudan, le Venezuela et l'Algérie. Chaque fois qu'un recentrage patriotique est favorisé ou qu'une élection approche, les pays en question suscitent les mêmes réactions et connaissent des tentatives de déstabilisation sans précédent. L'objectif évident et coordonné de nombreuses campagnes médiatiques conçues à ces fins est clair : éloigner à jamais les investisseurs potentiels, aiguiser les dissonances internes quand il n'est pas surtout question de renverser le président vénézuélien. Les médias internationaux contribuent pleinement à ce jeu de massacre. Titres accrocheurs et reportages tendancieux essayent d'amener l'opinion publique à sombrer dans l'amnésie pour faire effacer à jamais de la mémoire collective les actes génocidaires imposés aux “damnés de la terre”. À l'Algérie plus précisément à la une des médias français ces dernières semaines, à travers la restitution de quelques fragments d'une mémoire sous haute surveillance. Il semble que d'aucuns ne veulent donc pas que les choses évoluent dans le bon sens, que le cinéma et la télévision soient les miroirs des réflexions et des interrogations, les porte-parole de la conscience politique retrouvée et des esprits apaisés, qu'ils s'efforcent de poser un regard objectif sur les tenants et les aboutissants de la présence française en Algérie. Il ne peut en être autrement, a fortiori chez les nostalgiques d'une autre ère qui continuent à s'accrocher à l'idée réductrice que les dunes, les tempêtes de sable, le minaret, la femme voilée, le caïd aux yeux sanguinaires, la femme blanche prisonnière du harem et Antinéa avant Pépé le Moko, furent trop longtemps de solides et rentables références à un cinéma accommodé aux goûts du jour, donnant naissance à de nombreuses productions. Des films que les Français ne regardent plus maintenant, lors de rétrospectives, qu'avec un sentiment de gêne. Conséquences d'une censure castratrice venue à bout des esprits les plus retors, fera remarquer un confrère de l'Hexagone, il faut attendre le début des années 2000 pour voir renaître un certain intérêt des Français pour la politique. Il reste que les documentaires et les films programmés ces derniers temps de l'autre côté de la rive procèdent d'une malhonnêteté intellectuelle des plus évidentes. Ils s'évertuent le plus souvent à dénoncer sans ménagement, certes, l'ambiance délétère, la force de la hiérarchie, les rivalités entre les autorités civiles et militaires sans pour autant s'attaquer aux racines du mal génocidaire imposé à la population algérienne qui est sempiternellement mise en scène, ô comble de l'ironie, entre le feu croisé des Français et de ce qu'ils appellent les “fellaghas”. Selon Patrick Rotman, “le tabou ne porte pas sur la possibilité d'accéder à la connaissance des faits. Il est davantage en lien avec l'extrême difficulté que les Français ont à regarder leur histoire, à la dominer au-delà des passions et des haines”. Le scénariste et historien parle du cinéma comme d'un “divan collectif. Il y a une difficulté du cinéma français à affronter l'histoire, à jouer ce rôle de catharsis des grands moments de l'histoire”. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, où gaullistes et communistes ont pu s'appuyer sur des épisodes tels que le Débarquement ou la Résistance pour édifier un mythe, la guerre d'Algérie est longtemps restée, souligne notre confrère Mathieu Menossi, ce miroir sombre dans lequel la France voyait se refléter son incapacité, après l'Indochine, à gérer pacifiquement la dislocation de son empire : “Alors, du haut de sa Déclaration des droits de l'homme et auréolée de ses Lumières, la France a souvent préféré regarder ailleurs. Mais du mythe naît l'amnésie. Et sans sombrer dans l'autoflagellation, il s'agirait peut-être d'accepter enfin notre histoire dans toutes ses dimensions.” A. M. [email protected]