Décidément, les sept moines assassinés de Tibhirine ne finissent pas de mourir. Films, spots, débats à la télé, tous les moyens ont été mis en œuvre pour rappeler leur souffrance et la cruauté de leur bourreau. Et, curieusement, leur martyre hante aujourd'hui moins les hommes d'église que les hommes politiques français dont certains ont trouvé là l'occasion rêvée de jeter la suspicion sur un pays, au demeurant qu'ils ne portent pas dans leur cœur. Mais pour que ces hâbleurs soient crédibles, il faudrait d'abord qu'ils évitent de mélanger allègrement les rumeurs et les spéculations, qu'ils commencent par nuancer des propos qui ne reposent sur rien et surtout qu'ils fassent preuve de discernement dans leurs jugements. Et puisqu'on nous parle de manière à peine voilée de dérive fanatique et de raison d'Etat dans cette affaire, je raconterai volontiers cette petite histoire. Elle est émouvante. Elle s'est passée aux portes d'Oran, à la sortie d une humble bourgade du nom de Sainte Clotilde, aujourd'hui Hassi Ameur. Nous sommes en 1923, juste au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le hameau vit au ralenti, au rythme des saisons. La petite départementale qui traverse le village est si peu fréquentée qu'on peut bivouaquer sur son bitume sans peur d'être dérangé ; le hasard ou le destin, appelez cela comme vous voudrez, a voulu que ce jour-là, un jeune Européen âgé de 18 ans, fils d'un colon bien connu dans la région, se fasse déchiqueter par un camion qu'il n'avait ni vu ni entendu. La douleur du père a été terrible. Celle des riverains aussi. Des fellahs pour la plupart qui adoraient ce gamin. Pour immortaliser la mémoire d'un enfant arraché à la fleur de l'âge, le père fera construire sur les lieux du drame une stèle en marbre noir de plus d'un mètre de hauteur. Personne n'a jamais osé porter la main sur ce monument. Pas même des fanatiques. Par respect pour le mort. Par respect pour la mort. Aujourd'hui encore, des automobilistes intrigués s'arrêtent en bordure de route, en rase campagne, pour lire l'épitaphe d'un cœur qui saigne et compatir post mortem. M. M.