Les soubresauts et les mouvements que connaît l'hémisphère sud s'expliquent, selon Jean Ziegler, par la haine de l'Occident. D'où d'ailleurs le titre de son dernier livre, La haine de l'Occident, une haine raisonnée, positive qui est bien loin de la haine pathologique, criminelle qui donne naissance au terrorisme et au crime organisé. L'ancien député suisse précise que son concept de haine raisonnée “vient de la mémoire blessée et est une volonté de rupture et de renaissance identitaire”. “C'est une force de progrès”, a affirmé l'invité du Sila qui ne cache pas son admiration pour la formidable prise de conscience et les mouvements tendant vers la construction des Etats souverains, en Amérique latine particulièrement, afin, a-t-il souligné, de se rendre capable de rompre avec “cet ordre cannibale du monde”. Une posture qui donne par la suite la force de négocier à égalité avec les maîtres du monde. Maîtres qui sont les oligarques, multinationales (500) qui concentrent 58% des richesses dans le monde. “Il y a un monopole incroyable des richesses par les oligarques occidentaux”, dit-il en mettant l'accent sur les différentes méthodes utilisées, particulièrement la force, pour maintenir leur hégémonie. Le vice-président du Comité consultatif du conseil des droits de l'Homme de l'ONU — il a occupé le poste de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation — fait un constat amer de la situation dans le monde, surtout du côté des dominés, au point de qualifier de crimes les effets pervers du système capitaliste globalisé qu'il désigne par ailleurs par la dictature mondiale. “Toutes les secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim dans le monde. Plus de 1 milliard de personnes sont sous-alimentées et, selon la FAO, 3 700 personnes meurent chaque jour dans le monde” alors que la production agricole mondiale est capable de fournir les 2 700 calories/jour pour l'équivalent de 12 milliards de personnes ; constat sans appel sur les flagrantes inégalités qui sont l'objet de son combat. Et Ziegler ne croit pas à la fatalité. “Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné”, est sa sentence, tout en relevant des indices d'espoir à travers d'une part “le formidable réveil et de l'expérience, comme en Amérique latine, de la renaissance des Etats souverains et cette nouvelle société née au cœur du monde dominant”. Il s'agit, selon lui, de ces voix, de cette opposition radicale qui s'expriment à travers des forums, les organisations sociales qui proposent la rupture, des alternatives à la dictature et portent la “revendication” au sein de la société occidentale. Le même combat est porté du moins dans son discours par la mouvance écologiste. Ziegler n'y croit pas. Car c'est une nouvelle droite humaniste. Sans plus. Interrogé par ailleurs sur le choix du livre comme instrument de combat au détriment de la parole, des tribunes dont il bénéficie dans ses fonctions, l'universitaire aux publications “explosives et fracassantes” a expliqué qu'il mène le même combat mais avec des armes différentes. Tout en continuant ses “plaidoiries” dans les différentes tribunes où il intervient, il a indiqué avoir une préférence pour le livre. “Le livre est l'arme principale”, dit-il. Quant au risque d'incompatibilité entre ses fonctions dans une institution de l'ONU et son combat “révolutionnaire”, il a rétorqué qu'il profite de tous les espaces qui s'offrent à lui, mais en privilégiant le livre dont il est certain de l'impact positif. Evidemment, la rencontre avec Ziegler passe inévitablement par tous les conflits qui minent le monde, les injustices, les fléaux, toutes “ces maladies” inventées par l'homme pour dominer son semblable, allant de la famine à Gaza en passant par l'Afghanistan pour conclure sur une note d'espoir qu'il cultive avec forte conviction.