Marseille, la ville française la plus maghrébine de France, a abrité du 20 au 31 octobre dernier une manifestation cinématographique importante au vu du contexte politique et historique que vivent actuellement les deux rives de la Méditerranée, avec l'organisation d'une manifestation sur le thème “L'archive dans les films coloniaux et postcoloniaux en Algérie et en France”. Des films coloniaux, des œuvres sur la Révolution algérienne, des documentaires inédits et des débats sur le partage des archives ont été présentés durant la dernière semaine d'octobre, lors d'une manifestation organisée par l'association marseillaise Ciné-mémoire. “L'archive en question”, un travail de collecte, d'échange et de réflexion autour de la mémoire cinématographique de l'histoire a proposé cette année une “carte blanche” à la Cinémathèque algérienne. Au-delà des films déjà connus de la filmographie algérienne, comme Patrouille à l'Est, Mascarades ou encore les Enfants du Vent, le public marseillais, français mais aussi algérien, a découvert des films éblouissants présentés par la Cinémathèque algérienne comme Casbah 74, de Rabah Laradji, l'Emir Abdelkader, de Mahmoud Kheghida, qui montre le rapatriement des cendres de l'émir Abdelkader en 1966, ou encore les films dramatiques comme Noua, d'Abdelaziz Tobni, ou la Nuit a peur du Soleil, de Mustapha Badie, deux œuvres cinématographiques qui ont étonné le public par leur profondeur sur le drame algérien à l'aube du déclenchement de la Révolution. À ce propos, Ahmed Bedjaoui a précisé que “la Nuit a peur du soleil est, contrairement à ce qui a été souvent annoncé, le premier film cinéma algérien, puisqu'il a été réalisé en 1964, avant même la Bataille d'Alger ou le Vent des Aurès. Le film étant produit par la RTA, il n'a pas bénéficié de la même publicité que les autres”. Le public a également assisté et longuement débattu de la présentation du documentaire de Salim Aggar intitulé Paroles d'un prisonnier français de l'ALN, produit par l'ENTV et qui montre pour la première fois le témoignage d'un prisonnier français sur les conditions de sa capture, de sa détention et surtout de sa libération. Ahmed Bedjaoui, conseiller de la ministre de la Culture pour le cinéma, a animé, à cette occasion, une conférence sur le thème “Les images d'archives entre l'Algérie et la France”, vues du côté de réalisateurs français et algériens. On a assisté à la présentation du “Panorama du cinéma algérien entre 1966 et 2010”, réalisé par Salim Aggar et des films en super-huit réalisés par Ahmed Zir. À ce propos, Ahmed Bedjaoui insista sur la récupération des images qui ont été tournées en Algérie durant la période coloniale, car cela concerne la mémoire algérienne. Il précise que cela concerne les archives filmées, les journaux télévisés et tout ce qui a été tourné en Algérie, indiquant que certaines images ont une valeur anthropologique inestimable pour les professionnels de l'image et pour les historiens. Ces images filmées par les colons sont effectivement d'une grande qualité et surtout importantes pour la mémoire collective. Ces films amateurs inédits, filmés par des familles et des militaires durant la période coloniale entre 1920 et 1962, ont été soigneusement rassemblés par Claude Bossion, le directeur de Ciné-mémoire et montés par l'ancien cinéaste amateur Ahmed Zir, qui reste le réalisateur algérien de films super-huit le plus prolifique avec plus 45 films. Cette union entre les deux passionnés du super-huit a donné lieu à deux œuvres abouties accompagnées avec l'oud de l'artiste algérien Kamel Boukrine. Mais la conférence qui a retenu également notre intérêt et celui des Marseillais a été donnée par Sébastien Denis, auteur d'une thèse intitulée : “Le cinéma et la guerre d'Algérie, propagande à l'écran, 1945-1962”. Il est revenu sur “la représentation filmée des populations algériennes”, précisant que ces films réalisés sur commande par les Français le furent à des fins de “propagande très bien assumée”. Le discours qui était mis en image dévalorisait les populations. “On a souvent des paysages désolés qui ont été revitalisés, des scènes pour dire : voilà qui ils sont, comment ils vivent, pas vraiment ‘foutus' de travailler la terre…” Il explique surtout que l'image positive des populations passe par la présence de harkis, d'anciens combattants, de membres de groupes d'autodéfense. L'événement “L'archive en question”, organisé avec succès par Ciné-mémoire, a proposé des “mémoires partagées” dans un débat constructif et intelligent. Une réponse intellectuelle à ceux qui applaudissaient à l'autorisation par le Conseil municipal de Marignane (un bastion de l'extrême droite à Marseille) de l'installation d'une stèle en l'honneur de l'OAS.