Mon retour à Tlemcen, la semaine dernière, juste après la clôture du Colloque international à Oran dédié aux Technologies de l'information et de la communication, a été des plus instructifs autant que fatal aux idées reçues. Dans un pays où, pourtant, l'attitude des commis de l'idéologie dominante vis-à-vis des capacités créatives d'un peuple est des plus réductrices quand elle ne pousse pas au doute soudain de soi. J'ai été particulièrement émerveillé par ce que prépare la capitale des Zianides pour honorer comme il se doit la confiance placée en elle et devenir le réceptacle privilégié de la culture islamique. Et c'est loin d'être usurpé puisque les citoyens de cette ville se considèrent, même si l'impression n'est pas vite donnée, pleinement mobilisés pour donner une âme à une manifestation qui risque de connaître le même sort que celles qui l'ont précédée. Les préparatifs connaissent une avancée certaine même si la séance inaugurale du grand voyage initiatique à travers la culture du monde musulman a été retardée au mois d'avril prochain… Un retour somptueux, serais-je tenté de renchérir, tant il m'a permis de me réconcilier avec moi-même, de renouer surtout avec une terre qui fut, au temps de la dynastie des Zianides, un haut fait civilisationnel, culturel et scientifique malgré la pression exercée par les actes belliqueux et expansionnistes des Mérinides de Fès ou des Hafsides à l'est du royaume. Léon l'Africain n'écrivait-il pas au XVIe siècle que Tlemcen était une grande et royale cité et que si du temps du roi Abou-Tachfin, elle parvint à totaliser le nombre de seize mille feux, et si elle était accrue en grandeur, elle n'était pas moindre en civilité et honnête façon de vivre ? Toutes les corporations de métiers et les belles réalisations architecturales y donnaient la nette impression d'avoir été savamment ordonnées alors que les espaces dédiés à l'instruction et au savoir, portés irréfragablement par de belles structures, dégageaient de la magnificence, richement ornés de mosaïque qu'ils étaient. Dans le hawz de Tlemcen, il faisait bon vivre, soulignait Léon l'Africain, de belles possessions et maisons rivalisaient de somptuosité, bercées qu'elles étaient par une musicalité que seules les fontaines vives d'eau douce et fraîche savent improviser. Sans compter, faisait remarquer la même source, “ces treilles de vignes qui produisent des raisins de diverses couleurs et d'un goût fort délicat avec des cerises de toutes sortes et en si grande quantité que je n'en vis jamais tant en aucun lieu où je me sois trouvé”. Les souverains zianides contribuèrent pour beaucoup au développement économique et de la vie religieuse autant qu'intellectuelle de leur cité. Me rappelant l'énoncé d'une émission que j'ai consacrée à la Perle du Maghreb, alors que j'étais en poste à Canal Algérie, je me disais en mon fort intérieur que les ancêtres n'avaient rien laissé au hasard et leur perception du développement était loin d'être manichéenne, mécaniste. Parallèlement à l'essor économique, ils menaient des actions salvatrices pour doter leur royaume d'une éducation en adéquation avec leur projet de société où les arts et les sciences occupaient une place de choix, la vie intellectuelle raffinée. Ce n'est donc pas sans raison si les frères Yahia et Abderrahmane Ibn Khaldoun s'y établirent pour occuper des fonctions de dignitaires. En compagnie de mes amis Fayssal Benkalfat et de Abdessamed Chiali, mes certitudes seront davantage irriguées et consolidées par la visite du Palais royal dont la conception et la réalisation ne pouvaient que relever d'une prodigieuse alchimie. Le musicologue, l'architecte et votre serviteur avaient à cœur, lors de la visite du chantier, de se réapproprier cet espace emblématique — dont la restauration occupe une place de choix dans le projet de société de Khalida Toumi — à travers sa musicalité et surtout les bases scientifiques à partir desquelles il devait sa pérennité. Abdessamed Chiali, l'architecte en charge de sa résurrection, insistait sur l'influence andalouse et il n'avait pas tort. Les Zianides, dont une branche appelée plus communément les Banou Meziani, avaient refondé la ville de Cadix. N'avaient-ils pas été les héritiers des traditions hispano-mauresques chères aux Almoravides et aux Almohades ? Leur art et leur architecture n'étaient-ils pas essentiellement ceux de l'Espagne musulmane ? (À suivre) A. M. [email protected]