Ailleurs, sous d'autres cieux, on les appelle les seniors. Les anciens, par respect pour leur longue carrière. Après avoir trimé durant toute une vie derrière un bureau ou une chaîne de montage en donnant souvent de leur personne, ils ont gagné une retraite bien méritée. Pour couler des jours heureux, quelques-uns ont choisi d acheter un camping-car pour voir le monde, rattraper le temps perdu et se sentir aussi libres que l'air, sans fil à la patte ; d'autres se sont mis à leur violon d'Ingres et ont renoué avec leurs premiers amours, soit en taquinant le gougeon, soit en faisant de la pêche sous-marine, soit en changeant carrément de vie pour s'installer quelque part sur un caillou du Pacifique. À eux les vahinés et les lagons aux eaux couleur turquoise, à eux la dolce vita sous les cocotiers et la brise du grand large. Chez nous, les anciens sont perçus comme des seniors vidés de leur jus, hors d'usage, bons pour la casse ou Diar Errahma ... Des hommes en fin de parcours et pas loin de leur dernière demeure. Je les vois tous les jours au marché de la rue Maupas à Oran arpenter les venelles adjacentes à la recherche du moindre prix cassé. Ils comptent et recomptent leurs sous. Pas d'extra. Pas de folie et encore moins de camping-car. Juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim et éviter de s'endetter et surtout pour ne pas se faire gronder par l'épicier quand le crédit est au rouge. Le 22 de chaque mois, et dès l'aurore, ils font la chaîne devant les bureaux de poste pour encaisser leur maigre pension. Des clopinettes dont le montant équivaut à 200 kilos de patates mensuels. Pour tuer le temps dans le vent glacial, certains retraités qui ont encore le courage de raconter des blagues arrivent quand même à mettre un peu de baume dans la file. Mais le cœur visiblement n'y est pas. Dès l'ouverture des guichets, la belle harmonie des anciens vole en éclats. C'est la bousculade. Chacun pour soi. Et c'est alors que les désagréments commencent. Dans cette antenne d'Algérie Poste, il n'y a pas de liquidités... Dans cette autre, il n'y a pas de connexion... Dans la troisième, il n'y a pas de virement.... Dans la wilaya de Sidi Bel-Abbès, 50 000 retraités n'ont pas fêté l'Aïd ainsi que des milliers d'autres à Tlemcen. Pour les mêmes raisons. Les chemises à fleurs, le hamac au bord de l'Océan et le soleil des Caraïbes, ce n'est pas encore pour nos tronches. Il faudra attendre que les poules aient des dents et les coqs des bridges.