Si l'Algérie n'est pas considérée comme un pays à risque pour les enfants (travail pénible, esclavage, servitude), il n'en demeure pas moins que le phénomène, sous toutes ses formes, prend de l'ampleur et devient inquiétant. Le travail des enfants et ses pires formes, telles qu'elles sont définies par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) nuisent à la santé des enfants, compromettent leur éducation et conduisent à d'autres formes d'exploitation et de maltraitance. L'Unicef n'est pas opposée au travail que les enfants peuvent effectuer chez eux, dans la ferme familiale ou dans une entreprise familiale, tant que ce travail ne nuit pas à leur santé et à leur bien-être, et à condition qu'il ne les empêche pas d'aller à l'école et de profiter de leur enfance. Qu'en est-il chez nous ? Si l'Algérie n'est pas considérée comme un pays à risque pour les enfants (travail pénible, esclavage, servitude), il n'en demeure pas moins que le phénomène, sous toutes ses formes, prend de l'ampleur et devient inquiétant. À Batna, c'est le secteur des services (privés) où l'on constate le plus grand nombre d'enfants. Ils ne sont pas plus hauts que trois pommes et ils exercent déjà comme plongeurs dans les restaurants, les cafés et quelquefois aussi vendeurs d'objets hétéroclites, de sachets (sacs) en plastique. Ils ne sont pas toujours propriétaires de la marchandise, mais souvent engagés par des commerçants anonymes qui leur remettent une maigre rémunération, après une journée de labeur, qui démarre a 7h et s'achève à 17h. C'est à la cité des 84-Logements, lieu d'un des plus grands marchés populaires de la ville, que des enfants de différents âges proposent toutes sortes de marchandises. Vendeurs de serviettes en papier, serpillières, ustensiles, d'autres proposent aux passants des balances (pèse-personnes). Dans leur majorité, ils refusent de nous parler et évitent tous les contacts, ils savent qu'ils sont dans l'irrégularité. C'est peut-être par curiosité qu'autre chose. “Je ne suis pas toujours ici, je ne viens que les jours où je n'ai pas école, et je le fais pour aider ma mère, mon père ne vit pas avec nous. Mais je ne rapporte pas grand-chose à la maison. Je vais abandonner ce métier et rendre la marchandise à son propriétaire”, nous dit Wassim du haut de ses 14 ans. Des vendeurs adultes qui nous observaient, nous expliquent qu'ils font de leur mieux, pour que les enfants arrêtent de travailler, car ils sont trop petits, mais une fois qu'ils ont goûté à l'argent et à une forme d'autonomie, ça devient presque impossible d'abandonner. Qui sont ces enfants, qui sont les employeurs anonymes, dont certains sont des hadjis respectables ? Quels sont les préjudices que risquent les enfants sans protection aucune ? Y a-t-il des moyens de leur offrir le minimum d'assistance ? Autant de questions qu'on se pose, quand on constate que dans la majorité des cas d'enfants illégalement employés, l'employeur profite de la situation précaire des familles de ces derniers qui ignorent totalement la réglementation du travail. À la direction de l'action sociale (DAS), on nous apprend qu'il n'y pas un service pour la protection des enfants (sic !). Seul un jeune psychologue qui, sous le couvert de l'anonymat, nous confie qu'il reçoit les cas les plus désespérés. En plus d'être exploités par des employeurs sans scrupules, les enfants sont victimes de différents préjudices et harcèlements. À l'inspection régionale du Travail, on joue la transparence. Le dossier concernant le travail des enfants avait déjà fait l'objet de débats et rencontres aussi bien régionales que nationales. Pour l'inspecteur régional du Travail, Mesrane Amor, le dossier est à prendre très au sérieux et le plus vite possible. Il nous dit à ce sujet que “le code du travail, loi 90/11, article 140, est très clair. Hormis le cas d'un contrat d'apprentissage établi conformément à la législation et à la réglementation en vigueur, tout recrutement d'un jeune travailleur n'ayant pas l'âge prévu par la loi est puni par une amende de 1000 à 2000 DA et en cas de récidive, par une peine de prison de 15 jours. Cependant sur le terrain, dans la vie de chaque jour, notre travail n'est pas facile. Le silence, la complicité et autres pratiques ne nous facilitent pas la tâche. À titre d'exemple, lors d'une de nos sorties et inspections, nous avons visité 992 établissements au niveau de la région, sachant que nous sommes une inspection régionale. Sur 2 300 employés, nous avons recensé 36 enfants travailleurs, dont 5 sont âgés de moins de 15 ans et 31 employés ont moins de 17 ans. Le plus grand nombre de ces enfants travailleurs exercent dans les cafés et restaurants. Une seule fille a été recensée lors de nos sorties d'inspection. Nous avons dressé plus de 42 procès-verbaux d'infractions, mais ça reste insuffisant pour prétendre freiner, encore moins éradiquer le phénomène”. L'inspecteur régional qui a la responsabilité de cinq wilayas (M'sila, Oum El-Ouaghi, Batna, Biskra et Tébessa) en dépit de la rudesse de la tâche reste optimiste, car il estime que la volonté politique existe et l'arsenal juridique aussi, il suffit, selon notre interlocuteur d'huiler le rouage qui permet les interventions et donne le pouvoir à l'inspecteur du Travail, de sanctionner et d'infliger les peines adéquates pour dissuader les récidivistes, mais aussi prendre en charge les familles nécessiteuses, car la majorité des enfants viennent, hélas, de ces milieux défavorisés. Un dernier sujet à évoquer et qui n'est pas des moindres, la communication directe avec l'enfant à l'école pour le sensibiliser aux dangers du travail précoce. Aussi bien la loi, la justice que la société condamnent et avec les termes les plus fermes cette pratique, qui commence à prendre de l'ampleur dans notre pays. Nous avons demandé au cheikh Alaoui Mohamed (mufti) de la mosquée du 1er-Novembre (Institut des sciences islamiques) ce que dit et prévoit l'Islam et la charia quant à l'exploitation des enfants : sans détour aucun, l'Islam condamne et interdit totalement l'exploitation de l'enfant, même si cet enfant travaille pour ses parents.