De nouvelles pages sur l'Algérie ont été révélées par WikiLeaks. Et, contrairement aux premiers “câbles” balancés sur le Net, c'est la première fois qu'une page sombre des relations entre Alger et Washington est révélée au grand jour. Officiellement, les relations entre les deux pays, notamment en matière de coopération dans la lutte antiterroriste, sont jugées “excellentes”, mais dans les coulisses, ce n'était pas tout à fait le cas, du moins pendant la période où l'ambassadeur Robert Ford était en poste à Alger. Ce n'est un secret pour personne : Robert Ford était indésirable à Alger, et Washington a fini par l'expédier en Irak où sa réputation de “sniper” de la diplomatie lui a déjà créé pas mal de remous avec Bagdad. D'ailleurs à la lecture du câble, on comprend mieux les réticences algériennes vis-à-vis d'un diplomate qui n'hésitait pas en 1997, lors de son premier poste à Alger, de recevoir à dîner Ali Benhadj ou d'imputer les massacres des civils par le GIA aux militaires algériens. Sa façon de voir irritait les responsables algériens dont beaucoup refusaient de le recevoir. Il est force de constater que le passage de Ford par Alger a laissé des séquelles que livre présentement WikiLeaks. Dans ses notes transmises à Washington, en 2007, l'ambassadeur Ford estimait que “le terrorisme en Algérie ne constituait pas une menace pour la stabilité de l'état algérien”, mais elle nuisait à la crédibilité de la réconciliation nationale chère au président Bouteflika et l'affaiblissait, sur le plan interne, dans ses relations avec les responsables des forces de sécurité qui seraient partisans de la ligne dure vis-à-vis des groupes terroristes. Une grille de lecture manichéenne qui n'avait pas lieu d'être. En outre, il affirme que le mécontentement social permet aux groupes terroristes de trouver de nouvelles recrues. Il fera remarquer que les troupes de Droukdel ont changé de tactique, en 2007, en faisant usage d'attentats-suicide à la voiture piégée. Cette nouvelle stratégie calquée sur celle utilisée par Al-Qaïda en Irak, nuit également, selon l'ancien ambassadeur, à “la crédibilité des forces de sécurité algériennes face à l'opinion publique et face à la communauté occidentale. Cela est, notamment, le cas lors de l'attaque du 7 décembre 2007 qui a détruit le siège de l'ONU à Alger. Cette attaque a profondément embarrassé le gouvernement algérien. Lorsque l'ONU a déclaré qu'elle procéderait à sa propre enquête sur les lacunes de sécurité avant l'attentat, les autorités algériennes, hypersensibles, ont réagi avec véhémence et contraint l'ONU à faire marche arrière. Cette réponse cassante a engendré une nervosité chez les entreprises occidentales et les ambassades. Beaucoup disent qu'ils attendent des signaux avant d'envoyer des expatriés”, écrit Robert Ford. Même si l'ancien ambassadeur affirme que la collaboration avec les services de renseignements militaires algériens avait augmenté, à mesure que la menace terroriste s'accentuait, il n'a pas mâché ses mots pour critiquer ses interlocuteurs algériens qualifiant les spécialistes du renseignement algérien de “groupe épineux et paranoïaque avec lequel il est très difficile de travailler (…) mais nous avons mis en place, avec eux, un travail pour infiltrer les réseaux qui ont envoyé des jihadistes algériens en Irak. Selon les informations provenant d'une cellule d'Al-Qaïda Irak, 64 combattants algériens ont rejoint l'Irak entre août 2006 et août 2007. Ainsi, notre travail collectif n'est pas parfait, mais le nombre d'Algériens en Irak aurait probablement été beaucoup plus élevé si nous n'avions pas travaillé en étroite collaboration”. Ford, qui parle étrangement comme un agent de la CIA plus que comme un diplomate, évoque des opérations conjointes d'infiltration des réseaux d'Aqmi qui veulent préparer des attentats en Algérie. Le reproche fait aux militaires algériens est de ne pas reconnaître cette coopération contre Aqmi publiquement. “Au lieu de cela, ils se limitent, eux-mêmes, à dire qu'ils coopèrent avec les Etats-Unis et les autres nations contre les réseaux terroristes internationaux.” Ford, qui annonce également l'ouverture du bureau FBI à Alger, dissimule dans ce câble son échec personnel à ne pas avoir su établir des passerelles avec les militaires algériens préférant se défouler sur l'état-major de l'ANP, accuse : “Les Algériens ne se précipitent pas pour coopérer.” L'ancien ambassadeur continue son entreprise de démolition systématique dans un câble où on sent un ressentiment vis-à-vis des Algériens à la limite du tolérable quand il écrit : “Les Algériens ne se précipitent pas pour développer notre relation militaire-militaire. L'évolution est lente. Pour la première fois depuis le début de 2007, les Algériens, eux-mêmes, ont proposé des activités conjointes, et nous avons entrepris des exercices de formation ici, impliquant la marine et l'aviation. L'Africom a offert beaucoup plus, mais les Algériens ont gardé volontairement un pied sur le frein. Ils veulent éviter la dépendance, dans leurs relations militaires, de sorte à éviter que des informations sur leurs activités se propagent parmi les partenaires étrangers. Pour cacher leur méfiance et leur paranoïa, ils utilisent des astuces bureaucratiques.” Mais là où Ford va vraiment trop loin, c'est lorsqu'il accuse les militaires algériens d'effacer les traces des activités militaires bilatérales. Une accusation d'une rare gravité et infondée du fait que cette coopération se développe au grand jour depuis des années et qui semble perturber Ford qui n'a pas été associé ni par le Pentagone, ni par le MDN. Robert Ford s'en prenant par la suite à Bouteflika, analysant la réaction des officiels algériens, au lendemain de l'attentat du 11 décembre 2007 contre le siège de l'ONU à Alger, a estimé que le président Bouteflika était dans une position très inconfortable au point où il ne savait même pas comment faire face à ces attentats à la bombe. Citant une conversation entre l'ambassadeur portugais à Alger et le chef de l'état, le câble de Robert Ford a estimé que personne, parmi ses interlocuteurs, n'était capable de prédire de nouvelles attaques terroristes de ce genre. Tout en faisant remarquer que le gouvernement algérien essayait de trouver les meilleurs moyens de contenir et d'éliminer le problème de l'extrémisme, il indiquera que les forces militaires ont conduit la majeure partie des opérations de ratissage dans les maquis terroristes. Pour lui, les forces de sécurité paraissaient avoir réussi dans leur mission, jusqu'aux attentats du 11 décembre qui constituent, selon lui, un message d'Aqmi qui voulait affirmer qu'il existait toujours. L'ancien ambassadeur relatera une conversation avec le directeur des relations extérieures au ministère de la Défense, le général Sefendji, selon lequel, les forces terrestres combinées ont réalisé des succès dans les zones montagneuses, mais qu'elles ne pouvaient stopper les attaques-suicide à Alger. Il reprendra également les arguments avancés par le DGSN, feu Ali Tounsi, selon lesquels il n'y aurait aucune voie pour protéger contre des attaques “exceptionnelles”. Pressé par l'ambassadeur de donner des détails sur les mesures à prendre, le 18 décembre 2007, Ali Tounsi se serait contenté de dire que les nouvelles mesures pour sécuriser Alger entreront en vigueur dans les prochains jours, sans donner de détails. Pour Robert Ford, Ali Tounsi donnait l'air de ne pas être à l'aise, ni en mesure de donner des détails, même s'il avait envie de le faire. Citant une conversation qu'il a eue avec Abdelmalek Sellal, qui était, selon lui, pressenti pour occuper le poste de Premier ministre, ce dernier aurait déclaré que le gouvernement aurait dû adopter une attitude plus dure envers les groupes terroristes. Toutefois, il aurait estimé que “la conjoncture politique de l'époque ne permettait pas une telle attitude, sachant que le gouvernement était dirigé à l'époque par Abdelaziz Belkhadem qui avait affirmé, le 12 décembre, que la politique de Réconciliation nationale allait se poursuivre”. Mais, pour l'ancien ambassadeur américain visiblement très rancunier, les attentats du 11 décembre ne sont pas une preuve de l'échec des services de sécurité algériens, mais plutôt la preuve du succès d'Aqmi dans le changement de tactique. à se demander réellement dans quel camp se situe la diplomatie américaine !