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“On a surtout attiré les investissements spéculatifs dans l'immobilier”
Abdelhak Lamiri, économiste, à Liberté
Publié dans Liberté le 22 - 12 - 2010

Les réponses du spécialiste éclairent sur la politique économique algérienne et sur le rôle des IDE dans les investissements du pays.
Liberté : À Votre avis, comment peut-on qualifier la politique algérienne d'investissement, en ce qui concerne les IDE ? Et tout d'abord a-t-elle jamais eu une vraie place dans les objectifs d'investissements nationaux ?
A. Lamiri : L'Algérie a opéré une réorientation fondamentale de ses politiques des IDE. Certes, les politiques ne sont que des généralités et n'incluent pas des objectifs précis avec des timings, des responsabilisations et l'ensemble des outils qui confèrent à une politique de fortes probabilités de réussite. Par ailleurs, nous n'avions pas une expérience considérable dans le domaine des IDE hors hydrocarbures. On était en période d'apprentissage. On s'attendait à en tirer profit d'un transfert de savoir-faire technologique et managérial. Mais les investisseurs internationaux ont une palette de pays qui leur font les yeux doux. Même si nous leur offrons beaucoup d'avantages, ils iront là où c'est encore mieux. Mais les premières évaluations montrent qu'on a surtout attiré les investissements spéculatifs dans l'immobilier ou dans des créneaux que les Algériens auraient pu prendre en charge sans faire appel aux IDE. Par ailleurs, nous avons eu les cas de Orascom qui a dû totalement surprendre nos décideurs. Enfin, les ressources financières du pays se sont améliorées et on a dû se poser la question suivante : pourquoi laisser toute notre manne pétrolière investie dans des bons du Trésor américains à 2,5% alors que des investisseurs dans l'immobilier rapatrient jusqu'à 50% de rendement par an ?
Qu'a fait, ou que doit faire, le gouvernement pour attirer les IDE, et quels sont les atouts de l'Algérie ?
Le gouvernement propose des dispositifs avec lesquels il croit pouvoir attirer les investissements productifs ou pourvoyeurs de savoir-faire technologique et managérial. En premier lieu, les investisseurs internationaux ont accès au crédit local. C'est un avantage considérable. Par ailleurs, un plan de relance de 286 milliards de dollars offre d'immenses opportunités aux firmes étrangères, en plus des avantages fiscaux, qui varient en fonction de l'importance et des zones d'investissements. Le gouvernement pense que c'est suffisant. Mais il reste à exploiter beaucoup de pistes pour améliorer l'attractivité du pays. Moderniser notre management et nos pratiques administratives est une orientation très sérieuse pour améliorer notre attrait. Organiser une meilleure intercommunication avec les partenaires potentiels, en est une autre.
Enfin, rehausser le niveau de qualification des ressources humaines serait un sérieux atout. Mais cela exigerait une révision profonde de nos priorités. De toutes les décisions importantes que l'on devrait prendre, ce sont exactement les mêmes qui pourraient développer l'investissement productif national car en définitive, c'est ce dernier qui peut développer durablement le pays.
Quels sont les repoussoirs : le 51/49, à majorité algérienne, le droit de préemption, la limitation d'exportation des bénéfices, la fiscalité, etc. ?
Les véritables repoussoirs sont généralement peu évoqués. Il y a eu beaucoup d'échanges nationaux et internationaux sur la question. Les raisons les plus importantes concernent l'unilatéralisme et le manque de communication.
Nous sommes un pays souverain. Nous avons le droit de décider des mesures qui nous semblent les meilleures pour notre intérêt national. Mais les partenaires évoquent l'extrême précipitation et l'absence de concertation. Le second problème est d'ordre technique. On donne des missions complexes à une administration peu efficace et mal préparée à les assumer.
Par exemple, nos administratifs ne savent pas calculer l'impact d'un investissement sur la balance des paiements. Ils n'ont pas été formés et on leur demande de produire une telle analyse. Les autres facteurs sont évoqués mais avec beaucoup moins d'insistance. Certes, il y a beaucoup de grands groupes mondiaux qui ont pour politique stratégique de ne pas constituer de filiales à moins de 51%. Ceux-là ne viendront pas.
Dans les analyses techniques, certains projets peuvent être abandonnés à cause de ces repoussoirs. Les véritables repoussoirs sont la communication, l'environnement des affaires et l'inefficacité de nos services administratifs et bancaires. Nous avons un pays hyper-centralisé.
Les décisions économiques s'enlisent dans des labyrinthes compliqués. La vitesse des réactions est un facteur-clé de succès dans l'attrait de l'investissement international.
Quels sont les avantages des IDE dans l'économie : transfert de savoir-faire, production de richesses, emploi, etc. ?
Les avantages des IDE peuvent être énormes, surtout pour les pays qui disposent de peu de capitaux. Ils permettent d'accélérer la croissance économique, de réduire le chômage et d'impulser le développement. La Chine a été un bel exemple. Les IDE représentaient 33% des investissements productifs nationaux. Donc le tiers de la croissance et des nouveaux emplois ont été redevables aux IDE. Ce n'est que maintenant que le pays dispose de 2 000 milliards de dollars et devient de plus en plus capable de se passer des IDE. Les IDE, bien orientés, facilitent l'accès à la technologie, au management et surtout aux marchés des pays développés. Mais ces IDE ont besoin d'être canalisés. Si un pays s'ouvre aux IDE sans régulation efficace, il risque de graves remous économiques. La Chine a bien régulé ses IDE car elle avantage ceux qui apportent un plus au pays en matière de savoir-faire ou d'accès aux marchés étrangers. Son dispositif décourage tout investissement spéculatif.
Quelles sont les éventuels inconvénients des IDE, qui justifieraient les craintes du gouvernement ?
Les inconvénients des IDE risquent de déstabiliser tout un pays si leur régulation s'avérerait inefficace. Souvenons-nous de la crise asiatique. Des attaques spéculatives sur les monnaies, les actions et les obligations de ces pays avaient provoqué une crise qui avait failli engloutir des pays dont les économies réelles étaient généralement bonnes.
On avait accepté, sous l'impulsion du FMI et de la Banque mondiale, une libéralisation des flux de capitaux et des investissements spéculatifs massifs. Si l'Etat algérien n'était pas intervenu pour réviser sa politique des IDE, nous aurions eu des dizaines de milliards de dinars d'investissements spéculatifs (dans l'immobilier) et des sorties de capitaux de dizaines de milliards de dinars. Nos recettes pétrolières auraient été siphonnées.
Mais il faut séparer le bon grain de l'ivraie. On aurait pu avoir des concertations plus denses, formé nos administratifs, “fermer” des secteurs enfantins comme l'immobilier et l'importation et prendre juste les mesures qu'il faut. La mesure qui a fait beaucoup de bruit — le fameux 51/49 — en est la plus inutile qui soit. On aurait pu introduire le principe de la “Golden Share” seulement. Mais lorsqu'un investissement améliore l'équilibre de la balance des paiements à travers l'exportation ou la substitution aux importations, où serait le problème si on autorisait une prise de participation à 100% par les étrangers dans des secteurs non sensibles (qui restent à définir) ?
Pourquoi semble-t-on avoir abandonné l'espoir longtemps caressé d'attirer les IDE ? À cause des réserves de change disponibles, ou par crainte de nouvelles affaires Orascom/ciment ?
Je ne crois pas que les pouvoirs publics aient abandonné l'idée d'attirer les IDE. Face aux problèmes que l'on a constaté avec Orascom et les investissements spéculatifs dans l'immobilier, il y a eu un vent de panique. On a régulé la situation d'une manière précipitée. On aurait pu décréter un moratoire, le temps de communiquer, voir plus clair et décider. Le gouvernement a raison dans le fond. Il fallait arrêter le dérapage. Mais nous avons décidé trop rapidement. Je pense qu'il faut éliminer le 51/49, mieux communiquer avec les partenaires potentiels, améliorer l'environnement des affaires, principalement les secteurs administratif et bancaire, et mieux qualifier nos ressources humaines. Ces décisions, une fois prises, vont booster aussi bien les IDE que l'investissement productif national.


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