En dehors de l'assassinat du DGSN, Ali Tounsi, c'est sans doute la plus grande affaire qui aura marqué l'année 2010 : la puissante compagnie Sonatrach, premier groupe pétrolier en Afrique, douzième au niveau mondial, mamelle nourricière du pays, “empire” qui emploie à lui seul quelque 125 000 employés, est éclaboussée par un scandale dont les tentacules et les secrets ne sont pas pour l'heure élucidés. Pas moins de sept dirigeants du groupe, dont le P-DG, Mohamed Meziane, ont été mis en examen. Soit l'essentiel des cadres dirigeants du principal “portefeuille” du pays. Objets de l'accusation : malversations, non-respect du code des marchés publics, abus dans les marchés de gré à gré et surfacturations, entre autres. Ce scandale, qui a fait l'effet d'une bombe, même dans les milieux économiques et chez les partenaires de l'Algérie, n'a pas provoqué, comme souvent sous d'autres latitudes, de “séisme” politique dans l'establishment algérien. Premier concerné en ce qu'il tient le groupe sous sa tutelle, le ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, homme lige du président Bouteflika, après avoir observé le silence, sort de sa réserve pour annoncer qu'il “ignore” les motifs des inculpations. “Je ne peux pas préciser les motifs des inculpations, car je ne connais pas le dossier et les détails des accusations”. Il ajoute, avec quelque aplomb, qu'il a été informé par les accusés eux-mêmes, une fois convoqués par le juge d'instruction et par voie de presse. Alors qu'il a écorné l'image de l'Algérie à l'étranger, de l'aveu même du ministre, le scandale est assimilé pourtant par les pouvoirs publics à presque une “maraude”. “La responsabilité politique n'est pas établie”, a décrété Ahmed Ouyahia. Depuis l'affaire est mise sous l'éteignoir. Autre scandale qui a défrayé la chronique : l'autoroute Est-Ouest. Projet gigantesque reliant le Maroc à la Tunisie, estimé autour de 4 milliards de dollars à son lancement, il a englouti depuis un peu plus de dix milliards de dollars. Soit plus que la facture alimentaire du pays. Et comme souvent dans pareille affaire, quelques “lampistes” seulement, à l'image du secrétaire général du ministère seront jetés en pâture. Pourtant au regard des charges assez lourdes (association de malfaiteurs, malversation, violation de la réglementation relative au code des marchés publics, corruption, blanchiment d'argent, abus d'autorité et acceptation de présents) et des révélations de la presse établissant même quelques connivences avec des milieux étrangers, il n'est pas exclu qu'il atteigne des proportions dont on ne soupçonne pas l'étendue. “Le jour où éclaterait le scandale de l'autoroute Est-Ouest, celui de Khalifa passerait pour un fait divers”, avait prévenu devant l'Assemblée, le président du RCD, Saïd Sadi. Moins médiatisée, mais suffisamment révélatrice de certaines pratiques en cours dans certains organismes, l'affaire du thon rouge également a marqué aussi la chronique judiciaire de l'année. À la différence des autres, elle a été promptement traitée par la justice. Loin d'être exhaustives, ces affaires traduisent toute l'étendue du phénomène de la corruption qui gangrène des pans entiers de la sphère politico-économique du pays. Et de l'avis de nombreux observateurs, elles ne font office que de l'arbre qui cache la forêt. Mais comme pour rassurer une opinion médusée et des partenaires méfiants, d'autant qu'à l'indice de perception de la corruption de Transparency International, l'Algérie détient la palme d'or, le gouvernement a hâté de mettre sur pied un organisme de prévention et de lutte attendu depuis… 2006. Un retard expliqué par le ministre de la Justice, en réponse à une question du RCD au Parlement, par l'incapacité du Président de trouver “sept personnes intègres”. Mais suffit-il de se doter d'une structure pour venir à bout du fléau et rétablir la confiance ? Pas si sûr lorsqu'on sait que dans le nouveau cadre juridique établi par l'Exécutif, la Cour des comptes réhabilitée n'a pas prérogative à contrôler… la Banque centrale d'où transitent l'essentiel des “sous” du pays. À cela, il faut ajouter la méfiance vis-à-vis d'une justice, appelée à être en première ligne de la lutte contre la corruption, “aux ordres” et dont certains éléments trempent aussi dans la corruption, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme. Dès lors, comme le soutiennent nombre d'observateurs, il n'est pas exclu que l'éclatement de ces scandales ne participe en définitive que d'une lutte au sommet dont l'enjeu est lié à la prochaine présidentielle. Comme quoi, une lutte peut en cacher une autre…