Un vent de protestation souffle sur la Tunisie. Mais, excepté un ou deux autres titres, la presse algérienne, d'habitude prompte à signaler les accès de fièvre politique ou sociale des pays frères et voisins, est restée discrète sur les évènements de Tunisie en général, et de Sidi-Bouzid et de Tunis en particulier. Pourtant des faits significatifs s'y sont passés : en moins de deux semaines, trois jeunes tunisiens se sont donné la mort pour exprimer l'insupportable de leur condition. Il faudra retenir les noms de Mohamed Bouazizi qui s'est immolé, Houcine Neji qui s'est lancé sur un poteau électrique et Lotfi Guadri qui s'est jeté dans un puits. Le mouvement parti de Sidi-Bouzid, suite au suicide du jeune marchand ambulant, et sur fond de chômage, a gagné Tunis et d'autres localités, comme Feriana près de la frontière algérienne. Comme il se trouve que le chômage frappe prioritairement les jeunes diplômés de l'université, il n'est pas exclu que dès la rentrée de vacances, lundi prochain, les troubles gagneront les campus, et donc les villes. Si en Tunisie les jeunes peuvent difficilement recourir à la harga, du fait que leurs frontières sont fortement policées, le suicide y exprime l'étendue du désarroi d'une partie de la jeunesse. Peut-être qu'avec les révélations de WikiLeaks sur les pratiques pourtant connues de la famille, et surtout de la belle-famille du président Ben Ali, des slogans commencent à apparaître évoquant l'immense fracture sociale qui sépare les milieux proches du régime du reste de la population. D'abord à Sidi-Bouzid où la revendication d'une “justice interrégionale” a vu le jour, allusion faite au favoritisme dont jouit le Sahel, région de Sousse, par rapport au reste des provinces ; puis à Tunis où il fut question de “plus de liberté d'expression et moins de corruption”. On connaît le niveau de répression qu'ont eu à endurer nos confrères tunisiens, ainsi que le degré de harcèlement dont souffrent les militants des droits de l'Homme. Il semble que des citoyens veulent s'emparer, à leur tour, des causes de la liberté de parole et de l'état de droit. Et remettre en cause le régime de Ben Ali qui, depuis deux décennies au moins, justifie l'étouffement des citoyens par les effets socioéconomiques de sa politique et par son aptitude à éloigner le spectre islamiste et terroriste. Les illusions socioéconomiques du “modèle tunisien” ont, peut-être, vécu au moins aux yeux des jeunes chômeurs du pays. Et le bâillonnement de la société civile ne pouvait indéfiniment se légitimer par le péril intégriste. Signe de la tournure politique que prend le mouvement de protestation : pour la première fois, des slogans sommant Ben Ali de ne pas se présenter à un autre mandat ont vu le jour. Chez nous, beaucoup d'acquis des sacrifices d'octobre 1988 ont été restitués au pouvoir par la suite, un peu parce qu'il a su préparer la “restauration” du régime, un peu parce que les “démocrates” se sont convertis à la culture de la rente. Mais la petite lucarne de liberté d'expression qui survit devrait être engagée dans le soutien aux luttes de nos voisins pour leurs droits et leur dignité. M. H. [email protected]